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CONTES ORIENTAUX

fort extraordinaire : il vint à moi, me salua, me présenta un rameau vert qu’il tenait à la main, et, après m’avoir obligé par ses civilités à l’accepter, il se mit à réciter des vers persans pour m’engager à lui faire l’aumône. Comme je n’avais rien, je ne pouvais rien lui donner : il crut que je n’entendais pas la langue persane ; il récita des vers arabes ; mais voyant qu’il ne réussissait pas mieux d’une façon que de l’autre, et que je ne faisais pas ce qu’il souhaitait, il me dit : « Frère, je ne puis me persuader que tu manques de charité, je crois plutôt que tu n’as pas de quoi l’exercer. — Vous êtes au fait, lui répondis-je ; tel que vous me voyez, je n’ai pas seulement un aspre, et je ne sais pas où donner de la tête. — Ah ! malheureux, s’écria-t-il, quelle étrange condition est la tienne ! tu me fais pitié ; je veux te secourir ».

J’étais assez surpris d’entendre ainsi parler un homme qui venait de me demander l’aumône, et je croyais que le secours qu’il m’offrait n’était autre chose que des prières et des vœux, lorsque, poursuivant son discours : « Je suis, ajouta-t-il, un de ces bons enfants qu’on appelle faquirs : quoique nous vivions de charité, nous ne laissons pas de vivre dans l’abondance, parce que nous savons exciter la pitié des hommes par un air de mortification et de pénitence que nous nous donnons. Véritablement, il y a des faquirs qui sont assez simples pour être tels qu’ils paraissent, qui mènent une vie si austère qu’ils seront quelquefois dix jours entiers sans prendre la moindre nourriture. Nous sommes un peu plus relâchés que ceux-là ; nous ne nous piquons pas d’avoir le fonds de leurs vertus, nous en conservons seulement les apparences. Veux-tu devenir un de nos confrères ? J’en vais trouver deux qui sont à Bost ; si tu es d’humeur à faire le quatrième,