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CONTES ORIENTAUX

Aimé de l’auguste princesse que j’idolâtrais, et me faisant une image charmante de ce qu’elle m’avait promis, je m’abandonnai le lendemain et les jours suivants aux plus agréables idées qui puissent se présenter à l’esprit. C’est alors qu’on pouvait dire qu’il y avait sur la terre un homme heureux, si toutefois l’impatience de revoir Zélica me permettait de l’être. Enfin je me trouvai dans la situation qui fait le plus plaisir aux amants, c’est-à-dire, que je touchais au moment qui devait combler mes vœux, lorsqu’un événement imprévu vint tout à coup m’enlever mes orgueilleuses espérances ; j’entendis dire que la princesse Zélica était tombée malade, et, deux jours après, le bruit de sa mort se répandit dans le palais : je ne voulais pas croire cette funeste nouvelle, et il fallut, pour y ajouter foi, que je visse préparer la pompe funèbre. Mes yeux, hélas ! en furent les tristes témoins, et voici quel en fut l’ordre.

Tous les pages des douze chambres marchaient les premiers, nus depuis la tête jusqu’à la ceinture ; les uns s’égratignaient les bras, pour témoigner leur zèle et leur douleur ; les autres y faisaient des caractères ; et moi, profitant d’une si belle occasion de marquer ie regret sincère, ou plutôt le désespoir dont j’étais saisi, je me déchirai le corps, je me mis tout en sang. Nos officiers nous suivaient d’un pas lent et d’un air grave ; ils avaient derrière eux de longs rouleaux de papier de la Chine, déroulés et attachés à leurs turbans, et sur lesquels étaient écrits divers passages de l’Alcoran, avec quelques vers à la louange de Zélica, qu’ils chantaient d’un air aussi triste que respectueux. Après eux, paraissait le corps dans un cercueil de bois de sandal, élevé sur un brancard d’ivoire que portaient douze hommes de qualité ; et vingt princes parents de