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LES MILLE ET UN JOURS

mort dans les abîmes, et je ne comprends pas comment il est possible que je vive encore après cette aventure ; la mer était grosse et les vagues, comme si le ciel leur eût défendu de m’engloutir, m’emportèrent jusqu’au pied d’une montagne qui resserrait d’un côté la pointe du golfe ; je me trouvai même sain et sauf sur le rivage, où je passai le reste de la nuit à remercier Dieu de ma délivrance, que je ne pouvais assez admirer.

Dès que le jour parut, je grimpai avec beaucoup de peine au haut de la montagne, qui était très escarpée ; j’y rencontrai plusieurs paysans des environs, qui s’occupaient à tirer du cristal pour l’aller vendre ensuite à Ormus ; je leur contai à quel péril ma vie venait d’être exposée, et il leur sembla, comme à moi, que je n’en étais échappé que par miracle. Ces bonnes gens eurent pitié de mon sort : ils me firent part de leurs provisions, qui consistaient en mil et en riz et ils me conduisirent à la grande ville d’Ormus aussitôt qu’ils eurent leurs charges de cristal. J’allai loger dans un caravansérail, où le premier objet qui s’offrit à mes yeux fut un de mes associés.

Il parut assez surpris de voir un homme qu’il croyait avoir déjà servi de pâture à quelque monstre marin ; il courut chercher son camarade pour l’avertir de mon arrivée et concerter la réception qu’ils me feraient tous deux. Ils eurent bientôt pris leur parti ; je les vis, un moment après, l’un et l’autre ; ils vinrent dans la cour où j’étais, et se présentèrent devant moi, sans faire semblant de me connaître. « Ah ! perfides, leur dis-je, le ciel a rendu votre trahison inutile ; je vis encore malgré votre barbarie : remettez promptement entre mes mains