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CONTES ORIENTAUX

descendre dans l’abîme de l’éternité et te laisser de grandes richesses : prends garde d’en faire un mauvais usage, ou du moins, si tu es assez malheureux pour les dissiper follement, ne manque pas d’avoir recours à cet arbre que tu vois au milieu de ce jardin ; attache à une de ses branches un cordeau funeste et préviens par là tous les maux qui accompagnent la pauvreté. »

Il mourut effectivement peu de temps après, comme il l’avait prédit. Je lui fis de superbes funérailles et pris ensuite possession de tous ses biens. J’en trouvai une si prodigieuse quantité que je crus pouvoir impunément me livrer au penchant que j’avais pour le plaisir. Je grossis le nombre de mes domestiques ; j’attirai chez moi tous les jeunes gens de la ville ; je tins table ouverte et me jetai dans toutes sortes de débauches, de manière qu’insensiblement je mangeai mon patrimoine. Mes amis m’abandonnèrent aussitôt, et tous mes domestiques me quittèrent l’un après l’autre. Quel changement dans ma fortune ! Mon courage en fut abattu : je me ressouvins alors, mais trop tard, des dernières paroles de mon père. « Que je suis bien digne de la situation où je me trouve ! disais-je ; pourquoi n’ai-je pas profité des conseils d’Abdallah ! Ce n’était pas sans raison qu’il me recommandait de ménager mon bien : est-il un état plus affreux que celui d’un homme qui sent la nécessité après avoir connu l’abondance ? Ah ! du moins, je ne négligerai pas tous ses avis : je n’ai point oublié qu’il me conseilla de terminer moi-même mon destin si je tombais dans la misère ; j’y suis tombé, je veux suivre ce conseil, qui n’est pas moins judicieux que l’autre ; car enfin quand j’aurai vendu ma maison, la seule