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CONTES ORIENTAUX

ridicule qu’il vît faire à la cour ; il ne riait jamais, quelque plaisante chose qu’on pût dire devant lui.

Un jour le roi l’entretenait en particulier, et lui contait, en riant de tout son cœur, une aventure qu’il venait d’apprendre ; le vizir l’écouta si sérieusement que Bedreddin en fut choqué : « Atalmuc, lui dit-il, vous êtes d’un étrange caractère ; vous avez toujours l’air sombre et triste ; depuis dix ans que vous êtes à moi, je n’ai jamais vu paraître sur votre visage la moindre impression de joie. — Seigneur, répondit le vizir, votre majesté ne doit pas s’en étonner ; chacun a ces peines : il n’est point d’homme sur la terre qui soit exempt de chagrin. — Votre réponse n’est pas juste, répliqua le roi : parce que vous avez sans doute quelque secret déplaisir, est-ce à dire pour cela que tous les hommes doivent en avoir aussi ? Croyez-vous de bonne foi ce que vous dites ? — Oui, seigneur, repartit Atalmuc : telle est la condition des enfants d’Adam, notre cœur ne saurait jouir d’une entière satisfaction ; jugez des autres par vous-même, sire ; votre majesté est-elle parfaitement contente ? — Oh ! pour moi, s’écria Bedreddin, je ne puis l’être : j’ai des ennemis sur les bras, je suis chargé du poids d’un empire, mille soins partagent mes esprits et troublent le repos de ma vie ; mais je suis persuadé qu’il y a dans le monde une infinité de particuliers dont les jours heureux coulent dans des plaisirs qui ne sont mêlés d’aucune amertume ; et du moins, si personne n’est exempt de chagrin, tout le monde n’est pas, comme vous, possédé de son affliction. Vous me donnez, je l’avoue, une vive curiosité de savoir ce qui vous rend si rêveur et si triste ; apprenez-moi pourquoi vous êtes insensible aux ris, qui font les plus doux charmes de la