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CONTES ORIENTAUX

dit : « C’en est fait, ma princesse, je vais cesser de vivre et de souffrir ; ne plaignez point mon sort, louez plutôt ma généreuse résolution. Je m’affranchis, en mourant, d’un double esclavage : je sors des fers d’Altoun-Kan et de ceux de l’amour, qui sont encore plus rigoureux. J’ai sucé avec le lait les principes de Xaca[1], ainsi l’on ne doit pas être surpris que j’aie été capable de cette fermeté. » En achevant ces mots, elle fit un profond soupir et expira.

Les mandarins et les docteurs furent touchés de la pitoyable fin d’Adelmuc ; Tourandocte répandit de nouvelles larmes, et Calaf, se regardant comme l’auteur de ce tragique événement, en conçut une vive douleur. De son côté, le bon roi de la Chine en parut fort affligé : « Ah ! princesse infortunée, dit-il, seul et précieux reste des débris d’une célèbre maison, de quoi vous sert présentement qu’on vous ait sauvée de la fureur des eaux ? hélas ! vous auriez été plus heureuse si vous eussiez achevé votre destin le jour qui vit périr le malheureux Keycodad, le kan des Catalans, votre père, et toute votre famille. Puissiez-vous du moins, après avoir parcouru les neuf enfers[2], renaître fille d’un autre souverain à la première transmigration. »

  1. Xaca a prêché deux doctrines distinctes, la doctrine extérieure et la doctrine intérieure. Dans la doctrine extérieure, celle qu’on prêche publiquement, il reconnaît un Dieu en trois personnes, qui a établi des récompenses pour la vertu et des châtiments pour le vice. La doctrine intérieure, dont on ne fait part qu’à un petit nombre de disciples, aux savants et aux plus grands seigneurs, aboutit à un quiétisme absolu, sans espoir d’une autre vie. C’est évidemment à cette derniére doctrine que la princesse Adelmuc fait allusion.
  2. La plupart des Chinois s’imaginent qu’il y a neuf enfers que les âmes parcourent ; qu’elles revivent ensuite, mais qu’elles n’ont pas toutes le même sort : celles qui sont les plus heureuses renaissent hommes, les autres deviennent des animaux semblables aux hommes, et les plus malheureuses prennent des