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CONTES ORIENTAUX

surprit tout le monde par son action : Elle leva son voile, et aussitôt Calaf la reconnut pour cette même personne qu’il avait vue la nuit dans son appartement ; elle avait le visage aussi pâle que la mort, les yeux égarés, et elle paraissait méditer quelque chose de funeste. Tous les spectateurs la regardaient avec étonnement, et Altoun-Kan, comme les autres, était dans l’attente de ce qu’elle allait dire, quand se tournant vers Tourandocte, elle lui parla dans ces termes : « Princesse, il est temps de vous désabuser ; je n’ai point été trouver le prince Calaf pour l’engager à me découvrir son nom ; je n’ai pas fait cette démarche pour vous servir ; c’est pour mon intérêt seul que je l’ai hasardée : je voulais sortir d’esclavage et vous enlever votre amant. J’avais tout disposé pour prendre la fuite avec lui ; il a rejeté ma proposition, ou plutôt l’ingrat a méprisé ma tendresse. Je n’ai pourtant rien épargné pour le détacher de vous ; je lui ai peint votre fierté avec les plus noires couleurs ; j’ai dit même que vous deviez le faire assassiner aujourd’hui, mais je vous ai vainement chargée de cet attentat, je n’ai pu ébranler sa constance. Il sait quels transports j’ai laissé éclater en le quittant, et ses yeux ont été témoins de mon dépit et de ma confusion. Jalouse, désespérée, je suis revenue dans votre appartement, et, par une fausse confidence, je me suis fait un mérite auprès de vous d’une démarche qui n’a tourné qu’à ma honte. Ce n’est donc point pour vous tirer d’embarras que je vous ai appris le nom que vous vouliez savoir ; il est échappé au prince dans un transport qu’il n’a pu retenir, et j’ai cru que, toujours ennemie des hommes, vous seriez bien aise de pouvoir écarter Calaf ; enfin, j’ai cru par là prévenir