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LES MILLE ET UN JOURS

elle est revenue dans son appartement agitée des plus vifs mouvements de haine et de rage ; elle a rêvé longtemps à la question que vous lui avez proposée, et n’y pouvant trouver de réponse à son gré, elle s’est abandonnée au désespoir. Je n’ai rien épargné, non plus que l’autre esclave favorite, pour calmer la violence de ses transports. Nous avons fait même tout notre possible pour lui inspirer des sentiments favorables pour vous ; nous lui avons vanté votre bonne mine et votre esprit, et nous lui avons représenté qu’au lieu de s’affliger sans modération, elle devait plutôt se déterminer à vous donner sa main. Mais elle nous a imposé silence par un torrent de mots injurieux qui lui sont échappés contre les hommes ; le plus aimable ne fait pas plus d’impression sur elle que le plus laid et le plus mal fait. Ce sont tous, a-t-elle dit, des objets méprisables, et pour qui je n’aurai jamais que de l’aversion. À l’égard de celui qui se présente, j’ai encore plus de haine pour lui que pour les autres ; et puisque je ne saurais m’en délivrer autrement que par un assassinat, je veux le faire assassiner.

J’ai combattu ce dessein détestable, continua la princesse esclave ; j’en ai fait envisager à Tourandocte les suites terribles. Je lui ai représenté le tort qu’elle se ferait à elle-même, et la juste horreur que les siècles à venir auraient de sa mémoire. De son côté, l’autre esclave favorite n’a pas manqué d’ajouter des raisons aux miennes ; mais tous nos discours ont été inutiles, nous n’avons pu la détourner de son entreprise. Elle a chargé des eunuques affidés du soin de vous ôter la vie demain matin, lorsque vous sortirez de votre palais pour vous rendre au divan.

— Ô princesse inhumaine, perfide Tourandocte ! s’écria le prince des Nogaïs ; est-ce ainsi que vous vous