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LES MILLE ET UN JOURS

et deux frères, que leur enfance retenait auprès de nous. Le général chinois arriva dans le moment à l’endroit du fleuve où l’on nous avait jetés et où nous achevions notre misérable destinée. Ce triste et horrible spectacle excita sa compassion ; il promit une récompense à ceux de ses soldats qui sauveraient quelque reste de la famille du kan vaincu. Plusieurs cavaliers chinois, malgré la rapidité du fleuve, y entrèrent aussitôt et poussèrent leurs chevaux partout où ils voyaient flotter nos corps mourants. Ils en recueillirent une partie, mais leur secours ne fut utîle qu’à moi seule : je respirais encore quand ils me portèrent à terre ; le reste se trouva sans vie. Le général prit grand soin de mes jours, comme si sa gloire en eût eu besoin et que ma captivité eût donné un nouvel éclat à sa victoire. Il m’amena dans cette ville et me présenta au roi, après lui avoir rendu compte de sa conduite. Altoun-Kan me mit auprès de la princesse sa fille, qui est de deux ou trois années plus jeune que moi.

Quoique je ne fusse pas encore sortie de l’enfance, je ne laissais pas de penser que j’étais devenue esclave et que je devais avoir des sentiments conformes à mon infortune ; ainsi j’étudiai l’humeur de Tourandocte : je m’attachai à lui plaire, et je fis si bien par ma complaisance et mes soins, que je gagnai son amitié. Depuis ce temps-là je partage sa confiance avec une jeune personne d’une naissance illustre, que les malheurs de sa naissance ont aussi réduite à l’esclavage.

Pardonnez-moi, seigneur, poursuivit-elle, ce récit qui n’a rien de commun avec le sujet qui me conduit ici. J’ai cru devoir vous apprendre que je suis d’un sang noble, pour vous faire prendre plus de confiance en moi ; car le rapport important que j’ai à vous faire