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CONTES ORIENTAUX

lieu de nous chagriner par avance, au lieu de vous représenter la honte que vous devez avoir demain, ne feriez-vous pas mieux de songer à la prévenir ? Ce qu’il vous a proposé est-il si difficile que vous n’y puissiez répondre ? Avec le génie et la réputation que vous avez, n’en sauriez-vous venir à bout ? — Non, dit Tourandocte, c’est une chose impossible. Il me demande comment se nomme le prince qui, après avoir souffert mille fatigues et mendié son pain, est en ce moment comblé de joie et de gloire ? Je conçois bien qu’il est lui-même ce prince ; mais ne le connaissant point, je ne puis dire son nom. — Cependant, madame, reprit la même esclave, vous avez promis de nommer demain ce prince au divan ; vous espériez sans doute que vous la tiendriez ? — Je n’espérais rien, repartit la princesse, et je n’ai demandé du temps que pour me laisser mourir de chagrin avant que d’être obligée d’avouer ma honte et d’épouser le prince.

— La résolution est violente, dit alors l’autre esclave favorite. Je sais bien, madame, qu’aucun homme n’est digne de vous ; mais il faut convenir que celui-ci a un mérite singulier : sa beauté, sa bonne mine et son esprit doivent vous parlez en sa faveur.

— Je lui rends justice, interrompit la princesse : s’il est quelque prince au monde qui mérite que je le regarde d’un œil favorable, c’est celui-là, tantôt même, je le confesse, avant que de l’interroger, je l’ai plaint, j’ai soupiré en le voyant, et ce qui, jusqu’à ce jour, ne m’était point arrivé, peu s’en est fallu que je n’aie souhaité qu’il répondit bien à mes questions. Il est vrai que dans le moment j’ai rougi de ma faiblesse ; mais ma fierté l’a surmontée, et les réponses justes qu’il m’a faites ont achevé de me révolter contre lui ;