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LES MILLE ET UN JOURS

prophète Jacmouny que je ne vois qu’à regret mourir tant de princes, mais pourquoi s’obstinent-ils à vouloir que je sois à eux ? que ne me laissent-ils vivre tranquillement dans mon palais, sans venir attenter à ma liberté ! Sachez donc, jeune audacieux, ajoula-t-elle en s’adressant à Calaf, que vous n’aurez point de reproches à me faire, lorsqu’à l’exemple de vos rivaux, il vous faudra souffrir une mort cruelle ; vous êtes vous seul la cause de votre perte, puisque je ne vous oblige point à venir demander ma main.

— Belle princesse, répondit le prince des Nogaïs, je sais tout ce qu’on peut dire là-dessus ; faites-moi, s’il vous plaît, vos questions, et je vais tâcher d’en démêler le sens. — Hé bien, reprit Tourandocte, dites-moi quelle est la créature qui est de tout pays, amie de tout le monde, et qui ne saurait souffrir son semblable ? — Madame, répondit Calaf, c’est le soleil. — Il a raison, s’écrièrent les docteurs, c’est le soleil. — Quelle est la mère, reprit la princesse, qui après avoir mis au monde ses enfants les dévore tous lorsqu’ils sont devenus grands ? — C’est la mer, répondit le prince des Nogaïs, parce que les fleuves qui vont se décharger dans la mer, tirent d’elle leur source. »

Tourandocte voyant que le jeune prince répondait juste à ses questions, en fut si piquée qu’elle résolut de ne rien lui épargner pour le perdre : « Quel est l’arbre, lui dit-elle, dont toutes les feuilles sont blanches d’un côté et noires de l’autre ? » Elle ne se contenta pas de proposer cette question ; la maligne princesse, pour éblouir Calaf et l’étourdir, leva son voile en même temps, et laissa voir à l’assemblée toute la beauté de son visage, auquel le dépit