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CONTES ORIENTAUX

« Hé bien, prince, lui dit Altoun-Kan, votre vue doit-elle aujourd’hui me réjouir ou m’affliger ? dans quels sentiments êtes-vous ? — Seigneur, répondit Calaf, j’ai toujours l’esprit dans la même disposition : quand j’eus l’honneur de me présenter hier devant votre majesté, j’avais déjà fait toutes mes réflexions ; je suis déterminé à souffrir le même supplice que mes rivaux, si le ciel n’a pas autrement ordonné de mon sort. » À ce discours, le roi se frappa la poitrine, déchira son collet et s’arracha quelques poils de la barbe.

« Que je suis malheureux, s’écria-t-il, d’avoir conçu tant d’amitié pour celui-ci ! La mort des autres ne m’a point fait tant de peine. Ah ! mon fils, continua-t-il en embrassant le prince des Nogaïs avec un attendrissement qui lui causa quelque émotion, rends-toi à ma douleur, si mes raisons ne sont pas capables de l’ébranler. Je sens que le coup qui t’ôtera la vie frappera mon cœur d’une atteinte mortelle ; renonce, je t’en conjure, à la possession de ma cruelle fille ; tu trouveras dans le monde assez d’autres princesses que tu pourras posséder. Pourquoi t’obstiner à la poursuite d’une inhumaine que tu ne saurais obtenir ? Demeure, si tu veux, dans ma cour, tu y tiendras le premier rang après moi, tu auras de belles esclaves ; les plaisirs te suivront partout ; en un mot, je te regarderai comme mon propre fils. Désiste-toi donc de la poursuite de Tourandocte ; que j’aie du moins la satisfaction d’enlever une victime à cette sanguinaire princesse. »