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CONTES ORIENTAUX

XXXVII

Le fils de Timurtasch se promettait bien de voir d’un œil indifférent le portrait de Tourandocte ; il le regarde, il l’examine, il admire le tour du visage, la régularité des traits, la vivacité des yeux, la bouche, le nez : tout lui paraît parfait. Il s’étonne d’un si rare assemblage, et, quoique en garde contre ce qu’il voit, il s’en laisse charmer. Un trouble inconcevable l’agite malgré lui ; il ne se connaît plus. « Quel feu, dit-il, vient tout à coup m’animer ! quel désordre ce portrait met-il dans mes sens ! Juste ciel ! est-ce le sort de tous ceux qui regardent cette peinture d’aimer l’inhumaine princesse qu’elle représente ! Hélas ! je ne sens que trop qu’elle fait sur moi la même impression qu’elle a faite sur le malheureux prince de Samarcande ; je me rends aux traits qui l’ont blessé, et loin d’être effrayé de sa pitoyable histoire, peu s’en faut que je n’envie son malheur même ! Quel changement, grand Dieu ! Je ne concevais pas tout à l’heure comment on pouvait être assez insensé pour mépriser la rigueur de l’édit, et dans ce moment je ne vois plus rien qui m’épouvante ; tout le péril est disparu.

« Non, princesse incomparable, poursuivit-il en regardant le portrait d’un air tendre, aucun obstacle ne m’arrête ; je vous aime malgré votre barbarie, et puisqu’il m’est permis d’aspirer à votre possession, je veux dès aujourd’hui tâcher de vous obtenir : si je péris dans un si beau dessein, je ne sentirai en mourant que la douleur de ne pouvoir vous posséder. »