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LES MILLE ET UN JOURS

sitôt qu’il le vit paraître et qu’il put contenter sa curiosité, il ouvrit la boîte qui renfermait le portrait.

Il hésita pourtant avant de le regarder. « Que vais-je faire ? s’écria-t-il. Dois-je présenter à mes yeux un objet si dangereux ? Songe, Calaf, songe aux funestes effets qu’il a causés ; as-tu déjà oublié ce que le gouverneur du prince de Samarcande vient de te dire ? Ne regarde point cette peinture ; résiste au mouvement qui t’entraîne, pendant qu’il n’est encore qu’un désir curieux. Tandis que tu jouis de ta raison, tu peux prévenir ta perte… Mais que dis-je, prévenir ? ajouta-t-il en se reprenant ; quel faux raisonnement m’inspire une timide prudence ? Si je dois aimer la princesse, mon amour n’est-il pas déjà écrit au ciel, en caractères ineffaçables ? D’ailleurs, je crois qu’on peut voir impunément le plus beau portrait ; il faut être bien faible pour se troubler à la vue d’un vain mélange de couleurs. Ne craignons rien ; considérons de sangfroid ces traits vainqueurs et assassins ; j’y veux même trouver des défauts et goûter le plaisir nouveau de censurer les charmes de cette princesse trop superbe ; et je souhaiterais, pour mortifier sa vanité, qu’elle apprît que j’ai sans émotion envisagé son image. »