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CONTES ORIENTAUX

Il n’est pas besoin de vous dire le reste, seigneur, continua le gouverneur en sanglotant ; vous jugez bien par le triste spectacle que vous venez de voir, que le déplorable prince de Samarcande n’a pu répondre comme il l’espérait aux fatales questions de cette barbare beauté qui se plaît à répandre du sang, et qui a déjà coûté la vie à plusieurs fils de rois. Il m’a donné tantôt le portrait de cette cruelle princesse, quand il a vu qu’il fallait se préparer à la mort. « Je te confie, m’a-t-il dit, cette rare peinture ; conserve bien ce précieux dépôt : tu n’as qu’à le montrer à mon père en lui apprenant ma destinée, et je ne doute pas qu’en voyant une si charmante image, il ne me pardonne ma témérité. » Mais, ajouta le gouverneur, qu’un autre, s’il veut, aille porter au roi son père une si triste nouvelle ; pour moi, possédé de mon affliction, je vais loin d’ici et de Samarcande pleurer une tête si chère. Voilà ce que vous souhaitiez d’apprendre, et voici ce dangereux portrait, poursuivit-il en le tirant de dessous sa robe et le jetant à terre avec indignation ; voici la cause du malheur de mon prince. Ô détestable peinture ! pourquoi mon maître, quand tu es tombée entre ses mains, n’avait-il pas mes yeux ? Ô princesse inhumaine ! puissent tous les princes de la terre avoir pour toi les sentiments que tu m’inspires ! Au lieu d’être l’objet de leur amour, tu leur ferais horreur. » À ces mots le gouverneur du prince de Samarcande se retira plein de colère en regardant le palais d’un œil furieux, et sans parler davantage au fils de Timurtasch, qui ramassa promptement le portrait de Tourandocte et voulut se retirer dans la maison de sa vieille ; mais il s’égara dans l’obscurité, et insensiblement il se trouva hors de la ville. Il attendit impatiemment le jour pour contempler la beauté de la princesse de la Chine ;