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CONTES ORIENTAUX

fille par un serment qu’il ne pouvait violer. Calaf demeura dans la cour du palais, occupé de mille pensées confuses ; il s’aperçut qu’il y avait auprès de lui un homme qui fondait en pleurs ; il jugea bien que c’était quelqu’un qui prenait beaucoup de part à l’exécution qui venait de se faire, et souhaitant d’en savoir davantage, il lui adressa la parole : « Je suis touché, lui dit-il, de la vive douleur que vous faites paraître, et j’entre dans vos peines, car je ne doute pas que vous n’ayez connu particulièrement le prince qui vient de mourir. — Ah ! seigneur, lui répondit cet homme affligé, en redoublant ses larmes, je dois bien l’avoir connu, puisque j’étais son gouverneur. Ô malheureux roi de Samarcande ! ajouta-t-il, quelle sera ton affliction quand tu sauras l’étrange mort de ton fils ! et quel homme osera t’en porter la nouvelle ! »

Calaf demanda de quelle manière le prince de Samarcande était devenu amoureux de la princesse de la Chine. « Je vais vous l’apprendre, lui dit le gouverneur, et vous serez sans doute étonné du récit que j’ai à vous faire. Le prince de Samarcande, poursuivit-il, vivait heureux à la cour de son père ; les courtisans, le regardant comme un prince qui devait un jour être leur souverain, ne s’étudiaient pas moins à lui plaire qu’au roi même. Il passait ordinairement le jour à chasser ou à jouer au mail, et la nuit il faisait secrètement venir dans son appartement la plus brillante jeunesse de la cour, avec laquelle il buvait toutes sortes de liqueurs. Il prenait aussi plaisir quelquefois à voir danser de belles esclaves et à entendre des voix et des instruments. En un mot, tous les plaisirs enchaînés l’un à l’autre occupaient les moments de sa vie.

Sur ces entrefaites, il arriva un fameux peintre à