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LES MILLE ET UN JOURS

paraît fort touché de leur sort. Il se repent d’avoir fait un serment qui le lie, et quelque tendresse qu’il ait pour sa fille, il aimerait mieux l’avoir laissé mourir que de l’avoir conservée à ce prix. Il fait tout ce qui dépend de lui pour prévenir ces malheurs. Lorsqu’un amant, que l’ordonnance n’a pu retenir, vient lui demander la main de la princesse, il s’efforce de le détourner de sa résolution, et il ne consent jamais qu’à regret qu’il s’expose à perdre la vie. Mais il arrive ordinairement qu’il ne saurait persuader ces jeunes téméraires. Ils ne sont occupés que de Tourandocte, et l’espérance de la posséder les étourdit sur la difficulté qu’il y a de l’obtenir.

Mais si le roi du moins se montre sensible à la perte de ces malheureux princes, il n’en est pas de même de sa barbare fille. Elle s’applaudit des spectacles sanglants que sa beauté donne aux Chinois. Elle a tant de vanité que le prince le plus aimable lui paraît non seulement indigne d’elle, mais même fort insolent d’oser élever sa pensée jusqu’à sa possession, et elle regarde son trépas comme un juste châtiment de sa témérité.

Ce qu’il y a de plus déplorable encore, c’est que le ciel permet souvent que les princes viennent se sacrifier à cette inhumaine princesse. Il n’y a pas longtemps qu’un prince qui se flattait d’avoir assez d’esprit pour répondre à ses questions, a perdu la vie ; et cette nuit il doit en périr un autre, qui, pour son malheur, est venu à la cour du roi de la Chine dans la même espérance. »