Page:Les Mille et Un Jours, trad. Pétis de la Croix, 1919.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
LES MILLE ET UN JOURS

quelque chose au marché. La veuve repartit qu’elle avait un petit-fils de douze ans, qui demeurait avec elle, et qui s’acquitterait fort bien de cette commission. Alors le prince tira de sa bourse un sequin d’or et le mit entre les mains de l’enfant qui sortit pour aller au marché.

Pendant ce temps-là l’hôtesse ne fut pas peu occupée à satisfaire la curiosité de Calaf. Il lui fit mille questions : il lui demanda quelles étaient les mœurs des habitants de la ville, combien on comptait de familles dans Pékin, et enfin la conversation tomba sur le roi de la Chine. « Apprenez-moi de grâce, lui dit Calaf, de quel caractère est ce prince ? Est-il généreux, et pensez-vous qu’il fit quelque attention au zèle d’un étranger qui s’offrirait à le servir contre ses ennemis ? En un mot, mérite-t-il qu’on s’attache à ses intérêts ? — Sans doute, répondit la vieille, c’est un très bon prince, qui aime ses sujets autant qu’il est aimé, et je suis fort surprise que vous n’ayez pas ouï parler de notre bon roi Altoun-Kan, car la réputation de sa bonté s’est répandue dans tout le monde.

— Sur le portrait que vous m’en faites, répliqua le prince des Nogaïs, je juge que ce doit être le monarque du monde le plus heureux et le plus content. — Il ne l’est pourtant pas, repartit la veuve : on peut dire même qu’il est fort malheureux. Premièrement, il n’a point de prince pour lui succéder ; il ne peut avoir d’enfant mâle, quelques prières, quelques bonnes œuvres qu’il fasse pour cela. Je vous dirai pourtant que le chagrin de n’avoir point de fils ne fait pas sa plus grande peine ; ce qui trouble le repos de sa vie, c’est la princesse Tourandocte, sa fille unique. — Et pourquoi, répliqua Calaf, est-elle un supplice pour lui ? — Je vais vous le dire, repartit la