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LES MILLE ET UN JOURS

La nourrice de Farrukhnaz, après avoir ainsi conté l’histoire de Couloufe, se tut pour entendre ce qu’en dirait sa maîtresse, qui, toujours prévenue contre les hommes, ne fut pas encore du sentiment de ses femmes, qui soutenaient toutes que le fils d’Abdallah avait été parfait amant. « Non, non, dit la princesse, lorsqu’on le bannit de la cour du roi des Kéraïtes, il sortit de Caracorum sans dire adieu à Dilara, sans chercher même à lui parler ; j’avoue que le roi lui ordonnait de sortir de la ville très brusquement ; mais l’amour est ingénieux et lui aurait fourni les moyens d’entretenir la fille de Boyruc s’il en eût été fort épris : encore n’est-ce pas le seul reproche que j’aie à lui faire. Quelques jours après son arrivée à Samarcande, pour peu qu’il eût été occupé de sa dame, il ne se serait pas offert de si bon cœur à servir de hulla. D’ailleurs bien qu’il eût reconnu sa maîtresse, ne voulait-il pas la répudier ? N’était-il pas prêt à garder son serment, et ne l’aurait-il pas fait, si pour l’en détourner, elle n’eût pas elle-même employé jusqu’à ses larmes ? Un amant bien enflammé n’est pas si scrupuleux.

— Madame, dit Sutlumemé, il est vrai que le premier mouvement de Couloufe fut pour l’honneur, et c’est ce que je ne puis lui reprocher, j’admire au contraire, un jeune homme qui fait paraître de l’horreur pour un parjure, au milieu même de ses plaisirs ; je crois qu’un amant de ce caractère est plus estimable qu’un autre, et qu’on peut faire fond sur ses serments. Mais, Madame, ajoula-t-elle, puisque vous êtes si délicate, il faut que je vous raconte une autre histoire qui pourrai mettre votre délicatesse en défaut, et que vous trouverez peut-être plus intéressante que celle de Couloufe et d’Aboulcasem. » À ces paroles de la nourrice, toutes les femmes de la princesse poussèrent des cris de joie,