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LES MILLE ET UN JOURS

que mon bonheur m’inspire. Qui m’eût dit, quand le roi des Keraïtes me bannit de sa cour, que le Ciel ne me faisait éprouver ce malheur que pour me rendre le plus heureux des hommes. »

Dilara n’était pas insensible aux tendres mouvements que Couloufe laissait éclater. Ils passèrent tous deux la nuit à se témoigner mutuellement le plaisir qu’ils avaient de se rencontrer, et ils s’en donnaient encore des assurances lorsqu’un esclave de Mouzaffer vint frapper assez rudement à la porte de leur chambre, en criant de toute sa force : « Holà ho ! seigneur hulla, prenez, s’il vous plaît, la peine de vous lever, il est jour. » Le fils d’Abdallah ne répondit point à la voix de l’esclave et continua d’entretenir la fille de Boyruc. Mais il sentit évanouir sa joie : une tristesse mortelle succéda tout à coup aux doux transports qui l’agitaient : « Ma reine, dit-il, l’ai-je bien entendu ? On veut déjà nous séparer. Mouzaffer, impatient de vous voir rentrer dans sa famille, compte les moments du divorce qui vous en a fait sortir, et son fils justement jaloux de mon bonheur, n’en peut souffrir la durée ; le jour même d’accord avec ses ennemis, semble avoir précipité son retour. À peine, hélas ! vous ai-je retrouvée, qu’il faut vous perdre encore malgré les nœuds qui nous lient, car j’ai promis, j’ai juré de vous répudier. — Et vous pourrez interrompit la dame, garder cet affreux serment ? Saviez-vous, quand vous l’avez fait, que c’était à moi que vous promettiez de renoncer ? Vous n’êtes point obligé de tenir une promesse téméraire ; et quand vous le seriez, Dilara ne vaut-elle pas bien un parjure. Ah ! Couloufe, ajouta-t-elle en pleurant, vous ne m’aimez point, si vous êtes capable de balancer entre ma possession et le vain honneur de tenir une