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CONTES ORIENTAUX

Aussitôt Mouzaffer fit venir son fils Taher, et le reste de sa famile, et en leur présence le nayb maria Couloufe sans lui faire voir la dame, parce que Taher le voulut ainsi. Il fut même résolu que le hulla passerait la nuit avec elle sans lumière, afin que le lendemain, ne l’ayant pas vue, il eût moins de peine à la répudier.

Cependant la nuit étant venue, on introduisit Couloufe dans la chambre nuptiale, où on le laissa sans lumière avec la dame qui était couchée dans un lit de brocart d’or. Il ferma la porte à double tour, ôta ses habits, chercha le lit à tâtons, et l’ayant trouvé, il se coucha auprès de sa femme. Vous pouvez croire qu’elle ne dormait pas ; ce n’était pas sans émotion qu’elle se voyait livrée aux caresses d’un homme dont on lui cachait le visage, et dont elle se faisait même une image désagréable, parce qu’elle n’ignorait pas qu’on prenait ordinairement pour hulla, les premiers malheureux que le hasard présentait. D’une part, Couloufe, quoique Danischemend lui eût vanté la beauté de la dame, était fort mortifié de n’avoir pas le plaisir de la voir ; ou plutôt le portrait qu’on lui en avait fait, lui donnait une vive curiosité de le verifier. Ce désir qui le consumait et qu’il ne pouvait contenter diminuait la vivacité de ceux qu’il pouvait satisfaire. « Madame, lui dit-il, quelque favorable que soit pour moi cette nuit, je ne puis goûter une joie parfaite. Chaque instant redouble l’envie que j’ai de voir vos charmes. Je m’en suis fait une si belle idée, et je souhaite avec tant d’ardeur de les contempler, que je ne sais si ce n’est pas une aussi grande peine de vous posséder sans vous voir, que de vous voir sans vous posséder. Cependant il faudra demain que je vous cède. Ah ! puisque mon bonheur doit durer si peu,