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CONTES ORIENTAUX

croient n’avoir pas besoin d’autre éclaircissement. C’est pourquoi, dès le lendemain, sans chercher à vérifier ses conjectures, il envoya dire à Couloufe qu’il lui défendait désormais de paraître devant lui, et qu’il voulait que, dès ce jour là il sortît de Cararacorum.

Le favori, bien qu’il pénétrât la cause de sa disgrâce, et que, n’ayant rien à se reprocher, il ne désespérât point de faire connaître son innocence, s’il pouvait parvenir à se faire entendre, négligea toutefois de chercher les moyens de se justifier. Il céda de bonne grâce à son malheur. Il obéit à l’ordre du roi, et, se joignant à une grosse caravane qui allait en Tartarie, il se rendit avec elle à Samarcande. Comme personne ne savait mieux que lui résister à la mauvaise fortune, il ne fut point accablé de ce nouveau coup. Outre qu’il s’était déjà trouvé dans une situation misérable, tous les accidents de la vie lui paraissant des choses inévitables, ainsi qu’on l’a déjà dit, rien ne pouvait ébranler la fermeté de son esprit.

Il demeura donc à Samarcande, s’abandonnant à tout ce que le ciel avait ordonné de lui. Il fit bonne chère et se divertit tant qu’il eut de l’argent. Lorsqu’il n’en eut plus, il alla se placer dans le coin d’une mosquée. Les ministres l’interrogèrent sur sa religion, et le trouvant très savant, ils lui donnèrent une aumône réglée de deux pains par jour et une cruche d’eau, avec quoi il vivait fort content. Or, il arriva un jour qu’un gros marchand appelé Mouzaffer vint faire sa prière dans cette mosquée. Il jeta les yeux sur Couloufe et l’appela. « Jeune homme, lui dit-il, d’où es-tu, et par quel hasard es-tu venu dans cette ville ? — Seigneur, lui répondit le fils d’Abdallah, je