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CONTES ORIENTAUX

Couloufe m’a fait un mystère de sa passion pour la favorite. »

Mirgehan, par ce discours, acheva de déconcerter son favori, qui s’aperçut que les plaisanteries de Dilara ne laissaient pas de faire une mauvaise impression sur l’esprit de ce prince. Cependant ils buvaient tous trois, et insensiblement le roi, échauffé par le vin, oublia le personnage qu’il avait résolu de faire. « Ma princesse, dit-il à la dame, chantez-moi, je vous prie, quelque chose d’agréable. On dit que vous chantez à ravir. » Ces paroles, quoique prononcées d’un air fort familier, ne déplurent point à la fille de Boyruc. Au lieu de s’en offenser, elle fit un éclat de rire : « Très volontiers, dit-elle, mon cher Catalpan ; il n’est rien que je ne veuille faire pour toi. » Aussitôt elle demanda un luth tout accordé, et joua sur le mode yrac un fort bel air, qu’elle accompagna de sa voix. Ensuite, prenant un tambour de basque, elle chanta un autre air sur le mode bouselic.

Le roi, qui n’avait jamais entendu si bien chanter, ni si bien jouer du luth et du tambour de basque, se sentit transporté de plaisir, et ne se souvenant plus qu’il voulait passer pour un esclave : « Vous m’enchantez, madame s’écria-t-il ; quelque portrait avantageux que Couloufe m’ait fait de vous, il ne m’en a pas assez dit encore. « Le fils d’Abdallah avait beau lui faire signe de se taire ; il n’y eut pas moyen. « Non, poursuivit le prince, Isaac Mouseli, mon musicien, dont on vante tant la voix, ne chante pas si agréablement que vous. » Dilara reconnaissant à ces mots que l’homme qu’elle prenait pour un esclave était le roi lui-même, se leva brusquement de sa place et courut chercher un voile pour se couvrir le visage. « Ah ! nous sommes perdues, dil-elle tout bas à ses femmes. Ce