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fiat ignorem, quid fiat intelligo. Lib. I. de divinatione 8, 9.

Je tâche d’écrire moins en courtisan qu’en historien ; je puis me tromper : mais mon intention est de dire la vérité & de la montrer même aux potentats, sans leur manquer. Si l’univers est une vaste scène de brigandages abandonnés à la fortune, le représenter tel qu’il est, c’est inspirer pour lui l’horreur qu’il mérite, & travailler à lui faire perdre ses difformités. J’avoue que, quand je fais moi-même réflexion que ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, doit devenir un jour la matière de l’histoire, cela me dégoûte non-seulement de l’écrire mais même de la lire.

Un historien cependant, qui désireroit captiver le plus grand nombre de ses lecteurs, devroit avoir la conduite d’un courtisan qui cherche fortune. Il faudroit qu’il fût né avec un si grand fond d’indifférence pour la justice & pour la vérité, que sans peine il la vit violer & qu’il la violât sans remords dès que son avantage peut l’exiger : car, si à la cour cette vérité dicte les paroles ou les écrits, elle signe l’arrêt infaillible de son favori & le perd sans ressources. L’adulation fraie seule la route à la fortune : mais les auteurs qui s’y livrent doivent