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LE RAPh.

leurs, il jelle de nouveaux coups d’œil a droite cl à gauche , pour voir si quelque étranger ne le regarderait point, d’aventure, comme un personnage

d’in)i)orlancc. Cela fait, il se met à l’œuvre, prenant le plus qu’il peut l’air inspiré. Chaque coup de crayon qu’il donne est indiqué par un mouve-

ment de sa tête en sens contraire. Il sue sang et

eau. Ceux qui passent près de lui sont tentés de

lui proposer l’usage immédiat d’une boisson cal-

mante. Et cependant, malgré tout ce mal et toute

celte fatigue, malgré ces oscillations de tète et ces déplacements de cheveux, Théodore, quand sonne

riieuic du départ, n’a presque pas avancé la besogne ; ce qui ne l’empêche pas de jeter un regard

satisfait sur son (euvre avant de l’enfermer pour

vingt-quatre heures, et de s’en aller diner d’un

aussi bon appétit que s’il venait de faire un pendant à la Madeleine du Correge. Puis, son dîner fini, il se rend h l’école des Beaux-Arts , où il travaille quchpies heures avant de se livrer au sommeil. Tel est le cercle invarial’le dans lequel tournent les jours du rapin Théodore. Hélas ! si la cependant se bornaient ses peines , il ne serait pas trop ;i plaindre , le malheureux ! Mais il ne ])asse point sa vie dans un isolement aussi doux et aussi complet que le récit précédent le pourrait donner à croire. A l’atelier, il se trouve en compagnie déjeunes Rapliaêls en herl>e, qui, passés de l’état de rapin a l’état d’élèves , le rendent victime de mille vexations. Théodore est , a peu de chose près , l’esclave des élèves. S’il plaît ’aces messieurs de se procurer du tabac frais, ou d’envoyer (pielque part une letlre , Théodore doit leur épargner la dépense qu’occasionnerait l’emploi d’un commissionnaire. Qu’il s’agisse d’aller d’un bouta l’autre de Paiis , peu importe ! Théodore a des jandjes pour s’en servir ; trop heureux encore que chacun n’ait pas un ordre pariiculier )i lui donner.

Au moins, eu échange du service qu’on lui fait faire, Théodore jouit-il de quelques privilèges ? est-il admis aprésenter, par hasard, quelques timides objections ? Pas le moins du monde ! il doit à messieurs les élèves toule obéissance cl tout respect : c’est pourquoi la paiolc ne lui est accordée en aucune ciiconstaiice. Se permettre de parler ! Dieu l’en préserve ! Quand cela lui arrive , il sait trop comment on s’y })rend pour lui imposer silence. On se moque de lui, d’abord ; on pajaphrase le plus petit mot sorli de sa bouche ; on le tourne en ridicule ; puis, l’affaire s’échaulfant, les chitrijcn commencenl. CJiar(jc , en langage d’atelier, signifie grosse plaisanterie en action. Tirer brusquement sa chaise a un rapin qui travaille, de façon à le faire tombera terre ; ou bien lui couvrir la figure de couleur et d’huile, ou encore lui barbouiller si bien un dessin quasi achevé qu’il soit obligé de recommencer complétemeni son ouviage ; telles soûl , entre mille autres , les charges qui se prati(|uenl dans les ateliers. hoiic. si Théodore a la moindre chose h objecter (piand on dispose de lui pouninelipie