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court avait eu l’art ou le bonlieui de prendre ses amautsdans une certaine catégorie où le pouvoir, après elle, était venu répandre ses grâces, s’était établi comme à poste Dxe pour choisir ses plus intimes favoris. Peu à peu la liste des amants de madame de Régnacourt devint une liste de ministres, de conseillers d’état, de députés, de pairs et d’ambassadeurs ; ses affranchis gouvernèrent la France, comme autrefois les affianchis des empereurs romains gouvernaient le monde. Mais les fers de ces esclaves libérés n’étaient pas tellement lompus c|u’un bout de ehaine ne les retînt encore et ne les ramenât sans cesse vers leur ancienne maîtresse, non plus rampants et tremblants , mais tout disposés a subir, moyennant le retour de certaines privautés, un retour d’influence, dont ils n’appréciaient pas loule l’importance. Madame de liégnaconrt tenait en une honorable laisse deux ou I lois affranchis dans chaque combinaison ministérielle du jeu politique conslitutionnel, et pour chacune de ces combinaisons elle avait tout prêts des ambassadeurs accommodés au nouveau système, qu’elle devait faire monter sur le irone du pouvoir.

Madame de Régnacourt prévoyait avec une sagacité merveilleuse les changements de ministres, les revirements dans les alliances étrangères ; et alors, avec une adresse et un tact non moins merveilleux que sa sagacité, elle changeait en quelques jours loul l’ameublement humain de son salon ; aux doctrinaires succédaient les liers-parlisies, comme aux liers-parl’istcs les dynastiques, et tous ces changements s’opéraient sans difficulté, sans aigreur, sans élonnemeut. Les gens qui ne veulent se mettre en roule qu’après s’être assurés du temps à venir consultaient le salon de madame de liégnaconrt, thermomètre politique assez juste.

Je n’ai jamais connu le mari de madame de Régnacourt, je ne l’ai jamais aperçu ; tout ce que je sais de lui, c’est qu’il occupait j’ignore quel emiiloi dans je ne sais plus quel lieu de la terre. Personne ne parlait jamais de iI. de Régnacourt à sa femme, et elle n’en parlait jamais "a personne, si ce n’est peut-être à moi, sun confidem, parce que j’étais le seul de tous les hommes qu’elle lecevait qui n’eût jamais songé "a lui faire la cour.

(I Monsieui’ de Régnacourt , me dit-elle un soir, est un fort bon homme, doux et facile a vivre ; mais il est habitué à une vie calme ; ses idées, quoique saines et droites, sont peu développés ; notre tracas politique le tuerait de fatigue et d’ennui. — Avouez, madame, lui répondis-je, que M. de Régnacourt est la perle des maris. — Pourquoi voule/.-vons que j’avoue cela ? reprit-elle, en me regardant lixement. — Pourquoi, madame ? mais c’est tout bonnement qu’un mari tel que M. de Régnacourt est comme ces caiionicals des chapitres allemands, (jui donnent le titre de madame, sans les embarias du mariage. — Vous plaisantez toujours, mais je vous assure sérieusement que !. de Régnacourt a de très-bonues qualités.

— Oui , madame, j’en suis convaincu ; il a d’abord celle d’être toujours absent. » El je crois encore en effet que, de toutes les qualités que la nature, accompagnée de l’art, pouvait avoir accordées à M. de Régnacourt, la plus précieuse pour sa femme était sa qualité d’absent. Un mari par sa présence dépare souvent sa