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36 LE D K B L TA N T L 1 1 1’ h l ; A 1 li E.

et les grands airs des garçons de bureau , gens espiègles à la façon des petits clercs, et toujours prêts à molester les solliciteurs. A la lin pourtant , et de quelque solidité que fussent douées ses illusions et ses bottes, les unes et les autres, grâce aux rudes écliecs qu’elles avaient eu à subir dans le cours de leur carrière, commencèrent à s’user sensiblement ; Eugène, médiocrement alléché par ces prémices littéraires, en était venu à se demander s’il ne lui serait pas bien plus profitable d’étudier le droit , et puis de s’en aller dans une ville de province défendre la veuve et l’oiplielin sur le pied d’un écu par tête. Mais un jour, comme il montait la rue de Sorbonne d’un pas mélancolique , ses regards furent subitement frappés à la vue d’une affiche colossale, conçue en ces termes : « Le Cliérubin , journal littéraire , paraissant le jeudi de chaque (c semaine , etc. Prix : ’2A fr. par au. Bureaux , rue Guénégaud , 23. » i< Le Chérubin, s’écria notre débutant, le cœur rempli d’espoir : ic Cliérubin, un nouveau journal ! le seul qui ne m’ait |ias encore refusé... Essayons-eu aanl de couper mes ailes. » Et aussitôt il vola à sou hôtel, interrogea l’arcane mystérieuse de son secrétaire, et reconnut, 6 joie surhumaine ! que deux pièces de cent sous lui restaient encore. C’était plus qu’il n’en fallait ; et, révélant aussitôt ses habits les plus convenables , il s’empressa de courir à la rue Guénégaud.

Le Chérubin était une petite feuille inodore qui avait pour spécialité d’être tirée sur papier rose, et de n’avoir jamais eu besoin d’un caissier. Personne, sans aucun doute, n’a gardé souvenir de cet fi7/maA/c journal , si ce n’est son ini|)rimeur infortuné, à qui probablement il reste encore du (|ueli|ue vieux i-elii|iia( de compte. Ledit Chérubin Hoi’issait au n° 23 de la rue Guénégaud, vieille niaisoii triste et froide ; et ce qui sui’ les affiches était baptisé solennellement du nom |Ponipeu de bureaux consistait dans une seule chambre, meublée d’une liaiiquette circulaire qu’on avait oublié de rembourrer ; au fond se trouvait une alcôe fermée, ornée d’un lit de .sangle, où venaient coucher alternativement ceux des rédacteurs qui étaient dans de mauvais termes avec leurs propriétaires. Lorsque Eugène arriva au Cliérubin , la rédaction tout entière s’était comme donné rendez-oiis aux bureaux, qui était encombré d’une quinzaine déjeunes gens en train de révolutionner le monde littéraire et de (/emoftr en bloc toutes les illustrations contemporaines. Eugène demeura plusieurs minutes sans oser tourner la clef dans la serrure, tant il lui semlilait (|ue l’aspect de ces hommes devait être majestueux et imposant ; puis, d’un mouveinenl convulsif , il ouvrit la porte, et pénétra dans le sanctuaire. Il tut un éblouissement. Tout en discutant, la rédaction du Chérubin battait la semelle dans le but ingénieux de réchauffer, non pas la discussion, qui était aussi chaude que possible, mais ses pieds, (pie l’absence du feu, au cneur de janvier, avait singulièrement refroidis.

La foudre tombant à rini|iroisle, par w ciel d’azur, sur la rue tiuénégand, n’eiil pas causé une plus grande surprise que la visite d’Eugène Préal. C’est (|u’il ne vint pas son article à la main, comme vous vous l’imaginez ; il eiilra porteur de ses six francs qu’il déposa noblement sur la table, en disant ces paroles si éloquentes dans leur simplicité :« .Messieurs, je viens pour m’abonner ! > Siliif qu’il eut les talons lonrués, la rédaction se lc,i ciimiiic ini seul lidouric cl cdunit imniédialemeiil