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I. K I) K B U TA NT L IT T E H A I K H. 3 ;’,

vill-ilc Cliatcaii-Cliinoii. Son père l’einovait à Paris pour étudier la procédure et se former aux belles manières, à raison de 100 francs |iar mois, sur ipioi il devait prélever Ta l’fieni nécessaire à la nonrriinre. au logement, au Lilancliissa( ;e, aux iiiscriplious . à riiabilleineni , à réclairage, au chauffage el aux menus plaisirs. Trois semaines après son débanpiemeni , Kugène avait déjà mangé l’argent d’un trimestre, el nourrissait dans son cœur une haine iu iiicihlc coulre Imis les codes civils imaginables.

Un soir, pour se distraire, il s’en fut au Gymnase, où l’on jouait trois pièces de M. Scribe. Le hasard l’ayanl fail voisin de deux messieurs bavards, il n’eut rien de mieux à faire <|ue d’écouler la couversaliou. ipii poinail se résumer ainsi : «Combien |)ensez-vous que ça soit payé à Scribe des petites choses comme celles qu’on ient de nous représenter ?— Mais ça peut bien lui rapporter de cinq à six cent mille francs par année. — Ali ! bah ! — Ma parole. — Farceurs d"écriains ! on m’aail dit qu’ils monraicnl lous de faim à l’Iiopilal. — Plus souenl ! Le cousin du beau-frère de l’oncle du parrain de mou porlieresl valet de chambre chez un journaliste ; on ne lui paie ses gages qu’en bijoux et en perles fines. — Tiens, liens ! Si je relirais mon pelil Iroisiéme de chez le droguiste où il est en a|qirenlissage. et si j’en faisais un lidinniç de lettres.’ (Juand même il ne gagnerait (|ue cent mille francs en commençant, ca m irait encore , allez !»

Keniré chez lui, notre héros til un aulo-da-fé de tous si’s livres classiipies, el s’écria . non sans lancer un regard de dédain sur sa mansarde : « El moi aussi je serai homme de lettres ! ^

Eugène se réveilla le lendetnain à l’étal de UcbuUmt Ullcrairc , c’est à-dire qu’il employa sa matinée à noircir (pielques imiocenles feuilles de pa|iier, et son aprèsmidi à découvrir, dans l’Almanacb des 25,000 adresses . la demeure de lous les journaux parisiens. Le surlendemain . il entra dans cette voie de déceptions el de déboires ciu , jiour réussir, il ne faut pas que du talent . mais aussi du courage, de l’adresse , de la l’Use, de la souplesse et de la diplomatie : oie ardiu- i|iii ahoutil si souvent à la misère, quand elle n’aboulil pas au suicide.

Eugène Préval s’en fut donc offrir son article à la linue des Deux-Mondes , qui le refusa à lilre d’immoral : puis à la An /«• i/c Paiit , (pii ne put l’admettre coninie entaché d’une inoralilé par trop digne de feu Berquin. Le Siècle le trouva trop long, el le Courrier français, trop court : le _Va/(t>«a/ jugea que les idées qui y étaient émises ne cadraient pas avec sa ligne polili(|ue. el la Presse àècXarA la prose d’Eugène éminemment incendiaire el digne en loul pniul de figurer dans les colonnes d’une feuille anarchique. Quant aux petils journaux, ils se tirent les imitateurs serviles de leurs grands confrères, répondan !, les uns, qu’il élail lro|i fade ; lesaulres. qu’il était trop inéchanl ; ceux-ci, cjue l’idée s’y inoulrait d’une niaiserie banale ; ceux-là, que le fond en était d’une extravagance impossible.

lieux mois se passèrent ainsi. Eugène faisait , journée commune , de trois à iiualre lieiits par les rues de Paris . allani du ipiarlier Saint Jacques à la (lliaussée-d’Anlin, 1-1 iU faulidiug Sainr-deriiiain au faubourg Sainl-Honoié, bravant la pluie, la crolte il la froidure, supportanl sans sourciller les refus sou venl Impolis des rédacleurs .