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26 LA FEMMK COMMK IL FAUT.

un cerlain niouveiiienl coiiceiitrique et harmonieux qui fait frissonner sous l’étoffe sa forme suave ou dangereuse , comme à midi la couleuvre sons la gaze verte de son lierbe frémissante. Doit-elle à un ange ou à un diable cette ondulation gracieuse qui joue sous la longue chape de soie noire, en agite la dentelle au bord, répand un baume aérien, et que je nommerais volontiers la brise de la Parisienne ? Vous reconnailrez sur les bras , à la taille, autour du cou , une science de plis qui drape la plus rétive étoffe, de manière à vous rappeler la Mnémosyne antique. Ah ! comme elle entend , passez-moi celte exi)ression , la coupe de la démarche ! Examinez cette façon d’avancer le i)ied en moulant la robe avec une si décente précision qu’elle excite chez le passant une admirai ion mêlée de désir, mais comprimée par un profond respect. Quand une Anglaise essaxe de ce pas, elle a l’air d"nn grenadier qui se |iorh^ en avant pour attaquer une redonle. A la femme de Paris le génie de la démarche ! Aussi lamnnicipalilé lui devait-elle l’asplialle des trottoirs. Votre inconnue ne heurte personne. Pour passer, elle altendavec une orgneillense modestie (|u’(in lui fasse place. La distinction particulière aux femmes bien élevées se trahit sinhml par la manièi-e dont elle tient le cbàle ou la mante croisée sur sa poitrine. Elle vous a , tout en marchant , un petit air digne et serein , comme les madones de Raphaël dans leur cadre. Sa pose, à la fois tranquille et dédaigneuse, oblige le plus in.solent dandy à se déranger pour elle. Le chapeau, d’nne simplicité remarquable, a des rubans frais. Peut-être y aura t-il des fleurs ; mais les |)lus habiles de ces femmes n’ont que des nœuds. La plume veut la voiture ; les fleurs altirenl trop le regard. Là-dessous vous voyez la figure fraîche et reposée dune fenune siire d’elle-même sans fatuité, qui ne regarde rien et voit tout, dont la vanité, blasée par une conlinuelle satisfaction, répand sur sa physionomie une indifférence (pii pii|ne la cnriosilé. Elle sait qu’on rétudie ; elle sait (|ue pres(pie tous , même les fenmies, se retournent i)our la revoir. Aussi Iraverse-t-elle Paris ((imme un fil de la Vierge, blanche et pure. Celle belle espèce affeelionne les latitudes les plus chaudes, les longiludes les plus propres de Paris : vous la trous erez enlre la 2() et la 110 arcade de la rue de Rivoli ; sous la ligne des boulevards, depuis l’équateur ardent des Panoramas, où fleurissent les productions des Indes, où s’é|ianouissenl les plus chaudes créations de l’industrie, jusqu’au cap de la Madeleine, dans les contrées les moins crottées de bourgeoisie ; enlre le 30 et le 150"’ numéro de la rue du Faubonrg-Saint-Honoré. Durant Tliiver. elle se plait sur la terrasse des Feuillants, et point sur le trottoir en bitume qui la longe. Selon le temps , elle vole dans l’allée des Champs-Elysées , bordée à l’est par la place Louis XV, à l’ouesl , par la rue de MarigJiy, au midi, parla chaussée, au nord, par les jardins du faubourg Saint-Honoré. Jamais vous ne rencontrerez celle variété de femme dans les régions hyperboréales de la rue Saint-Denis ; jamais dans les Kamischalkades rues boueuses, petiles ou conuiierciales ; jamais nulle pari par le mauvais temps. Ces fleius de Paris éclosenl par un lemps oriental , parfiunenl les promenades , et, passé cin(| heures , se replient comme les bellcs-de-jour. Les fenunes tpie vous verrez plus tard, ayant un peu de leur air, essayant de les singer, sont des fenunes conmie il en faut, tandis (pie la belle inconnue, votre Béatrixde la journée, est la femme comme il fnid. Il ti’est pas facile aux étrangers