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la spéculaliou. Aussi, par suite, a-t-il en un clin d’oeil des hôtels, des villas, des grandes croix, des héritières, des fanfares. Tout cela dure-t-il ? Plus ou moins. C’est un cortège impertinent et fantastique à la façon des contes arabes, qui surgit, resplendit. .. et passe. A un autre : la France paie.

Le spéculateur de moyenne classe a un appartement confortable, un dîner prêt au cercle de son quartier, une entrée aux théâtres royaux, une place marquée à la Bourse, un poste d’habitude a Tortoni, nne famille quelque part, et une maîtresse n’importe où. Ha, pour se mettre a l’abri des événements politiques, uu pied dans le camp légitimiste, un bras dans l’opinion juste-milieu, et une autre partie du corps plus ou moins heureusement choisie, dans le parti républicain. Du reste, il ne fait pas plus de cas des croix de la Légion-d’llonneur que des soupes économiques, n Les pauvretés, dit-il, ne rapportent rien. » Il a autant d’aversion pour les réjouissances de juillet que pour les batailles de polichinelle, autant de dégoût pour les programmes de l’Hôtel-de-Ville que pour les expositions de phénomènes vivants. « Il n’y a rien a gagner, dit-il, avec les mauvaises plaisanteries. » Lorsqu’il sait écrire, et cela peut se rencontrer, le spéculateur vend cinq ou six fois ses manuscrits. Il les distribue d’abord a celui-ci en feuillelons, puis "a cet autre en volumes in-S", enfin, n’importe "a qui, en drame ou en vaudeville. Cela commence par faire une trilogie littéraire qui a trois formes, trois allures, trois titres, et qui n’est au fond qu’une seule et même chose ; l’admirable de cette combinaison, c’est qu’au bout du compte il y aura eu trois ventes, trois paiements, trois publications, cl que le bon public aura pu y être trois fois mystilié. Cela n’empêchera pas d’ailleurs la <n/o£fk d’être plus tard vendue de nouveau pour paraître in-l2ou in-18, puis d’être revendue peu après pour se remettre en OEuvres complètes. sublime progrès des lettres !

Le spéculateur a peu de goiit pour la campagne. A quoi servent, en effet, les champs et les moissons’ ? A nourrir les habitants de ce globe ? il est certain que cela n’a rien de déraisonnable et peut occuper la caste vulgaire ; mais, pour lui, le point capital ici-bas, ce n’est point d’engraisser l’humanité, c’est de nourrir la spéculation. Oh ! qu’il est beau, le spéculateur, lorsque, mollement étendu sur un fauteuil il la Voltaire, il lit voluptueusement le prospectus d’une entreprise étourdissante, oîi il apportera toute sa capacité, et ses amis tout leur argent 1 Comme il en étudie les chances ! Elle lui paraît d’autant plus magnilique, qu’elle a l’air a peu près impraticable. Allez donc proposer, dans Paiis, aux hommes "a haute intelligence, un projet simple et raisonnable, sans éclat ’a porter aux nues, mais promettant un gain honnêle : avec quelle risée dédaigneuse votre [>lan sera accueilli ! Un (juin honnête ! juste ciel !... autant vaudrait demander l’aumône. Qui oserait se compromettre au point d’attacher sou nom "a une pareille niaiserie’ ? In gainlionnete ! mais un homme bien placé n’accepte pas la responsabilité d’un tel ridicule ! il faut une fortune assurée dans les vingt-quatre heures, ou, au |)lustard, dans le trimestre ; il faut, du moins, si l’on attend, des dividendes anticipés. Sans quoi, vaut-il la peine d’y arrêter sa pensée !... Parlez-nous d’une enlre|>rise de voitures qui chevaucheront toutes seules par monts et par vaux sans haquenées et sans charbon ; parlez-nous de Iune(te§