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•■fis LE MVELR.

(Iroils. Si vous voulez venir eliez Tortoni , je suis prèl à vous y accompagner ; c’csl , sans contredit. le plus joli déjeuner de Paris : le buffet y est bien pourvu et fineraenl approvisionné, la chère est friande, la société aimable ; ou y cause avec esprit et avec liberté ; on y agit sans façon et avec politesse. Je sais peu de repas aussi charmants qu’un déjeuner chez Tortoni , bien dirigé et bien commandé ; mais il me faut (juelque chose de plus, ^ous sommes d’assez bonne compagnie pour ne pas craindre qu’on gâte nos manières ; nous avons l’avantage de ne répondre de nous qu’à nous-mêmes. Pour moi, Paris ne renferme que deux sortes d’individus : ceux qui me connaissent et ceux qui ne me connaissent pas : les uns savent qui je suis ; que me fait l’opinion des autres ? A Bercy, nous trouverons de la marée fraîche et du poisson (ic Seine nouvellement péché , de braves gens fort contenis et fort honorés de nous recevoir, une vue admirable et du vin comme il n’y en a que la. Voilà mes raisons pour y aller ; quelles sont les vôtres pour ne pas y venir ? » Nollis nie regardait ; je n’avais qu’une réponse à faire^ je pris la main d’Adolphe et je m’écriai : « A Bercy ! »

Adolphe avait raison ;ce futundéjeuner délicieux. En entrantchezietraiteur, il avait causé avec la belle écaillore ; je crois même qu’il lui avait pris familièrement le menton : elle nous apporta elle-même les huilres dans un plat énorme ; elle riait en nous reconimandanl de les avaler vivantes et dans leur eau : le vin de Chablis était d’une qualité supérieure, doré et merveilleusement sec et perlé ; l’entrecôte de bœuf, dûment relevée par une sauce qu’Adolphe indiqua par écrit ; la sole, accommodée par un procédé nouveau qu’il a lui-même importé d’Angleterre ; et enlin, la matelote, faite d’après les vieilles traditions du port, composèrent un repas que le vin de Beaunc arrosa sans relâche. Adolphe affirmait que le matin il ne fallait pas faire usage de vin de Bordeaux ; il me promit de m’expliquera dîner cette règle hygiénique. A la fin du dijeuner Adolphe et moi, que Nollis lui avait présenté comme un jeune homme qui donne des espérances, nous étions les meilleurs amis du monde. Je savais qu’il était venu "a Paris pour y faire son droit, et qu’après avoir pris ses licences h la Faculté, il avait suivi, sans penchant vicieux, mais avec une molle insouciance, son instinct pour le plaisir ; c’était ainsi qu’il s’était toujours trouve loin du travail. Au delà de son éducation , sa famille n’avait pu rien faire pour lui. Il lui était arrivé ce qui arrive "a tous les jeunes gens sans patrimoine , il avait formé des projets et contracté des dettes : les projets s’étaient évanouis, les dettes étaient restées ; maintenant Adolphe s’était donné aux lettres : ’a ses yeux, cette occupation était presque un loisir ; mais il n’avait jamais pu renoncer au bien-être du moment pour sauver l’avenir ; il vivait donc toujours aux prises avec des embarras nouveaux ; et toujours livré "a de nouveaux plaisirs, il affirmait qu’en dé[iit de sa misère, il avait Ml faire pencher la balance du côté du contentement. Adolphe avait une morale qui n’était ])as diablesse : il était assurément incapable d’une action lâche, malhonnête ou mauvaise ; mais le plaisir était à ses yeux une chose si excellente , qu’il ne s’appliquait qu’à le goîiter ; ce n’était pas seulement sa grande affaire, c’était son unique affaire : il le cherchait partout oîi il pensait le trouver ; quelquefois il se bais- ■ :iif pour le prcndic, 11 appelait l’cln |irolonuer la jcniiesse.