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Bonjour, Alexandre, comment le portes-Ui . ma petite, ma grosse, ma bonne, ma vieille ?...

— Pas trop mal ; monsieur Alphonse. Je sors de chez une de ces dames ; elle m’a chargé de vous demander ce que vous piéfériez d’une pèlerine bordée de grèbe ou de chinchilla ?

— Mou Dieu,atedire vrai, cela m"est égal... Chinchilla ! chinchilla ! on dirait un nom de jument. Ah ! à propos... Adieu, au revoir, Alexandre, lu sauras que je n’entre absolument pour rien dans la dépense de ces dames.

— ^^ C’est bien ainsi que madame l’entend ; elle m’a seulement cliargée de vous demander votre goût, vous avez le goût si excellent ! l’t |)uis ellea appris que M. de... vous savez, ce gros blond qui joue si gios jeu, a parié que ce soir , à l’Opéra , mademoiselle Anastasie éclipserait toutes les autres femmes.

— En vérité ? l’imbécile ! combien cette garniture de chinchilla ?

— Vous savez, ce qu’il vous plaira , je n’ai pas de |)rix avec vous, je ne vous demande qu’un petit bon... à deux mois ou à six semaines, si cela vous arrange mieux, j’ai sur moi du papier timbré. »

Du temps de Turcaret, la Revendeuse à la toilette s’appelait madame Jacob ou madame la Ressource ; elle s’appelle aujourd’hui madame Alexandre. Son nom a changé, mais le métier proprement dit est toujours le même ; il exige un tact infini, du machiavélisme assaisonné d’aplomb, de bonhomie et de rondeur, de l’audace el de la souplesse, enfin de la haute diplomatie.

Ou peut blâmer sans doute la Revendeuse à la toilette, lui faire son procès au nom de la morale et de la société ; il me semble pourtant qu’il y a plusieurs manières d’envisager sa profession. Que fait-elle après tout ? Elle rend d’éminents et incontestables services ’a une certaine classe d’individus, qui sans elle ne trouverait nulle part ni crédit, ni fournisseurs, ni toilette, ni avances. C’est une espèce de providence a domicile qui a bien sa partie faible sans doute , mais qui a aussi son côté utile et méritoire. Elle vous endette gaiement, vous ruine de même ; quchiuefois aussi elle vous sauve, vous rachète ; il n’y a guère de fortunes de femmes sans dettes et sans usure.

Ainsi, une Revendeuse ’a la toilette surprend une femme à la modo le matin chez elle, enveloppée dans son peignoir, et noyée dans Taflliction : pauvre femme ! Elle . a vu s’envoler hier son trésor d’attachement, un senliuie.it de 300 francs par mois ! La Revendeuse à la toilette entre au milieu de ses jérémiades, a Séchez vos larmes, ma belle, voici de quoi briller, et restaurer aujourd’hui même votre position. Vous redoutez les échéances, le papier timbré vous fait peur, eh bien, je vous loue une toilette complète, je vous loue des plumes, du velours, des bijoux, des dentelles, pour une semaine, pour un mois ; abonnez-vous pour un semestre de coquetterie et d’atours. » Trouvez donc une créature plus arrangeante que eelle-bi ! C’est du génie, sur ma foi ! que de savoir compa ir ainsi "a 1 5 ou 20 pour cent aux infortunes et aux étoffes fanées d’une jolie femme. Hélas ! pourquoi tous les métiers n’ont-ils pas leur madame la Ressource ? pourquoi le peintre ou le poëte ne jouissent-ils pas des mêmes " privilèges ? Mais le système même de l’usure est déplorable. On escompte une jolie