Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/470

Cette page n’a pas encore été corrigée
55(i LE COMMIS-VOIAGEUR.

bAfhe de l’impériale que le vélt-ian sa guérite et son coupe-chou ; aussi, tant que , eoninie feu le Juif errant , il aura 5 sous dans sa poche et un commettant en perspective, sera-t-il toujours heureux, content, sans chagrins, sans soucis et sans envie d’en avoir. La diligence est tout pour lui , sa patrie , sa famille et ses amis ; la diligence doit donc, recevant son premier sourire, accepter en fin de compte son dernier soupir.

Le voyageur libre, rentré A la maison , est devenu inagiainier, débitant de rubans, de briquets phospboriques ou de graines de sain-foin ; puis il a succédé à son patron , s’est plongé jusqu’au cou dans les délices du primo mild, a ramassé de quinze ; vingt ’ mille livres de rente, et est ainsi arrivé à l’âge de quarante ans, âge raisonnable (|ui lui a permis de devenir député, et, pour ne pas sortir de son rôle primitif, d’aller défendre â la Chambre la liberté du pays.

Le voyageur piéton s’est métamorphosé en boutiquier Saint-Denis , en fabricant de bougies diaphanes ou de bonnets de coton ; alors il a eu l’ambition de suivre le progrès. Il possède donc une épouse, des marmots qui l’appellent papa , et un chien basset qui fait l’exercice en douze temps , et porte un panier entre ses dents , â l’instai’ de défunt l’illustrissime Munito.

Quant au voyageur maroltier, i force de glisser dans Vesiipot le liard rouge, le gros sou et la pièce blanche, il a résumé un petit saint- frusquiii qu’il a expédié pour le pays (presque toujours l’Auvergne ou le Limousin ) ; puis, lorsque son soixantième hiver, comme disait Dorât, lui a fait sentir le besoin du repos, il vend voiture et cheval , bagage et vieux fonds , et revient au milieu de ses pénates , riche de 430 francs de rente, d’un demi-arpent de vignes et de douleurs rhumatismales laborieusement amassés pendant quarante années d’impiiétudes et de privations. Tel est leseptemvirat du commis-xoyageur, tel qu’il a été, tel qu’il est, tel qu’il sera longtemps encore, en dépit des vicissitudes de la fortune et de l’animadversion du commettant ingrat. .Xutrefois, au bon vieux temps, où, lorsqu’il s’agissait de franchir les frontières du département, l’on dictait san testament par-devant notaire, on savait si bien apprécier toutes les qualités de cet ordre estimable et dévoué, que chaque matin, le commettant venait très-humblement s’informer à l’hôtel de l’arrivée du voyageur. Le commettant tenait toujours sa commission prête huit jours d’avance ; il priait, il suppliait pour que cette commission fût acceptée ; il se serait volontiers mis â genoux pour arriver au but de ses désirs ; il s’évertuait jusqu’à offrir ad rem le dîner du ménage, jusqu’à payer la demi-tasse et le petit verre, y compris le bain de pied ; il recommandait à ses commis d’être polis, prévenants, affectueux ; A sa femme, d’ôter ses papillotes et de mettre un bonnet ruche ; à sa progéniture, de faire la révérence et d’envoyer un baiser avec la main ; à son’ caissier, de conduire le voyageur au café pour prendre la bouteille de bière, au spectacle pour entendre les vaudevilles de M. Scribe ; à la cathédrale, pour voir les vitraux coloriés ; au Musée , pour ne rien voir du tout ; enfin , c’était un déploiement de luxe inou’i , de complaisances mirobolantes et de frais à bon marché, attendu que le voyageur payait partout ; tandis qu’aujourd’hui les rôles sont , ma foi ! bien changés. Les astres, les hommes et les commis -voyageurs ont subi la plus étrange des