Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/469

Cette page n’a pas encore été corrigée

LK COMMIS-VOVAGEIR. :{5.-,

Le voyaiîi’Uf mrt ;()«(<7-, nu iiiarcliand ainbulanl , rsl une espèce d’Aleide einblousO de bleu ;■ ! mille raies, l’oiii- aimes offensives et défensives , il porte A la main un fouel . verge de lioux , corde de cuir. Il se reconnaît partieuliérement à la toile cirée qui protège son chapeau, au pantalon de velours bleu qui couvre son fémur, aux brodeipiins ferrés qui cvllnimcnt ses ieih , et au juron traditionnel domUiliaiicinenl établi sur ses lèvres. Débarqué dans une sous-iiréfeelure ( les sous-préfectures sont ses ports de mer, ses endroits de prédilection), il s’enquiert d’un magasin temporaire. Les auberges ofi il desa’nd ordinairement ont une chambre réservée ait liur (wur celte espèce de voyageurs A petites journées. l"ne fois (lourvu, le marottier déballe et range ses marchandises dans des rayons enfumés , et sur lesquels le jour n’a jamais pénétré en plein midi. Tant mieux ! la pratique n’a pas besoin de voir le grain écrasé d’un tloiiblc-boiie ou la paille d’un rasoir, la reprise d’une dentelle ou le mauvais teint d’un madras alsacien. C’est fait exprès, c’est superbe ! et l’acheteur vient se prendre là cou)nie un oiseau à la glu. Ces préliminaires achevés , le marottier va allumer le chaland : pour cela , il le flatte, le caresse, le cajole, Vemlorl A sa manière, suivant ses moyens, rudement , durement , rondement ; il ne fait assurément pas de tleur^ de rhétorique , et ne prend pas de roses pour point d’exclamation. Mais enfin, pourvu qu’il réussisse, c’est tout ce qu’il demande, c’est tout ce qu’il lui faut ; et il réussit , parce ((ue le chaland de la sous-prélt’cture aime mieux choisir lui-même (jue s’en rapporter au choix du voyageur. Le oyageur marottier conserve toujours le même vêtement, hiver comme été -, il mange avec les rouliers, boit avec les rouliers, couche dans sa marotle avec sa limousine, sa femme et son chien. Ue cette manière, il amasse des puces, mais il économise 50 centimes par nuit. Le jour, il travaille comme un galérien, va liardanl comme un Grandet , et, au bout du compte, il n’en est pas plus riche. Autrefois, il faisait fortune la balle de laine sur le dos ; aujourd’hui, il a une voiture, trois (ois plus de marchandises, et trois fois moins de béné6ces.

Que si vous nous demandez maintenant ce que devient sur ses vieux jours le commis-voyageur , nous vous répondrons : Sauf de très-rares exceptions, le voyageur |)atron devient goutteux, millionnaire et juge de paix de son quartier. .Après avoir distribué aux commettants, et du madapolam, et de l’orseille, et du trois-six, il distribue aux plaideurs, et des sermons et des exhortations, et du papier timbré. Il n’a point changé de métier ; la forme est toujours la même, il n’y a que le fond qui ait varié.

Le voyageur intéressé devenu septuagénaire a passé par toutes les élamines de la partie, et a finalement obtenu pour sinécure la place d’instrumentiste dans (|uelque théâtre du boulevard ; il a su ainsi mettre à prolit uu talent problématique, mais qui lui procure l’avantage d’employer ses soirées , d’assister aux répétitions, et de s’occuper des aventures de coulisses. Après avoir été intéressé, il s’intéresse aux autres, ce qui fait que sa condition est à peu près toujours la même. Le voyageur à conmiission naît, vit et meurt, ou mourra en diligence : pour lui l’état doit être immuablement héréditaire ; aussi est-il inhérent à la marmotte , comme la marmotte est inhérente A lui, aussi ne saurait-il pas plus abandonner la