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LA FIlUITIKKi :. 545

I ar elles , les secrets des ménages desceiulnil eliaqne malin et arrivent ;i son oreille. Placée sur la rne, et an pied de ces liantes maisons (|ni contiennent un monde entier, elle voit tout, elle sait tout. Amours déjeunes lilles , querelles, scandales de tout genre, rien ne lui écliappe ; et lesprali(incs, qui se succèdent sans relâche, et qui lui appoitent le Irihut do leurs liards et de leurs nouvelles, la tiennent au courant de ce qui se passe au loin , hors de son horizon et <lans les quartiers avoisinants. Klle est la confidente de toutes les bonnes d’cnfanl. La portiéie ne jouit ni de son crédit, ni de sa considération. La |)ortière est méchante, hargneuse et notoirement indiscrète. La fiuilière est vantée pour sa discrétion et ses sages conseils. i ;t jinis, — n estce pas nne (cmmc éiubiu ! Ivlle écoule et parle tout à la fois ; souvent elle s’inter-I onipt pour ranger quelque chou qu’un pied distrait a délogé , (juelque gros artichaut qui s’est ccaité étourdiment de ses compagnons, il y a toujours chez elle une histoire commencée , une de ces intcrrainahU’s liistoires des Mille et une Xnïls. On entre , on sort : l’auditoiie réniinin se renouvelle, et l’histoire continue ; elle s’égare en longs détours : elle se perd en mille anecdotes incidentes ; mais, à re.emp !edu fameux conteur de Jeannot, c’est toujours la même histoire.

La fruitière a le cœur sur la main ; son amitié est solide, son ohligeance est éprouvée ; tous les petits services qu’elle peut rendre , elle les rend avec empressement. Bien que son commerce soit plus qu’un autre uu commerce en détail et ne supporte pas les longs crédits, elle ne laisse pas d avancer à de pauvres voisines quelt |uesliar<ls et même quelques sous, elle, pour (]ui les sous et les liards sont des francs. A l’ouvrier indigent , à la veuve ou "a l’orphelin, la hrave fennne fera , comme on dit, bonne mesure. — Aumône magnili(iue, nolilement et délicatement déguisée, dont personne ne lui saura gré , et pour’ la(]iielle elle rre recevra pas rrrùine un meni ; car ceux i|u’elle oblige ainsi ne s’en doutent pas !

Les écoliers , les riamins des carrefours qui s’arrêtent avec admiration devant les merveilles opulentes de l’épicier, contemplent avec une convoitise plus naturelle et mieux sentie les bonnes choses que vend la fruitière ; souverrt même ils organisent de petils vols ’a ses dépens : la maraude réussit presque torrjoirrs , et les voilà qui fuient, en se pressarrt d’anéantir le corps du délit. L’épicier dépêcherait son garçon h lerrrs trousses ; il s’élancerait Ini-mènre après eu , en rlépit de sa gravité , et , d’un air- formidable, il les ci iidniiail au tio/o». La frrritière, avertie trop laid, accourt, (oiuirre l’araignée , du fond de son domaine, et apparaît, les deux poings sur les Irarrdrcs el le bonnet légèrement posé de Ir’avers : elle crie an voleur il à In fjnrde, et porri’snit les rnarauileurs de sa voix glapissante. Si rrri voisirr oflicieirx parvieirt’a les aitraper- el les amène toril confus devarri Icrri jirge,elle les charge d’impi’écalions ; elle leur pr’édit léclrafaud, el liiril soriverrl par’ les renvoyer avec un bon sermon et une poignée de ceri^es.

Qui comprendra les joies, les soucis de cette existence paisible, oir Ions les jours se ressemblent, oir les contre-coups des plus grandes convulsions viennerrt s’airrortir ? Napoléorr prétendait qu il y avait peut-être , dans (jnelque coin de Paris, un être isole qui n’avait pas entendu le retentisscmenl de son nom. Eh bien ! la frrritière, qui sait lanl de choses de la vie rrsuelle , ne sait presque rien des événements poliliquns ; bien