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006 L’KMPI.OÏli.

suite l’employé très-exact : celui-là tremhle pendant trente ans d’arriver trop tanl à son bureau, et la peur de ne pouvoir signer le lendemain ce que, dans le langage administratif, on nomme l’état de présence, le poursuit jusijue dans son sommeil. Aussi se défie-t-ii des accidents, des rues barrées , des encombrements , des embellissemcnls, de sa montre, des horloges publi(|ues et particulières, de tout enfin. Mais, liolas ! il peut se trouver une lois en sa vie relardé de cinq minules , et vous pouvez alors le reconnaître il son air préoccupé, effaré, à la manière dont il se fait phiceà travers la foule, à la légèreté avec laquelle il rase l’aspbalte des trotloirs. Qu’a-t-il besoin d’un omnibus ? il les laisse tous derrière lui Kntin , il arrive, cl il n’est pas réprimandé, ^’ill]porte, il ne s’exposera pas de longlemps au reproche •l’iiiexaclilude, et pendant un an son nom ligurera en première ligne sur l’elat de présence.

J’ai connu un martyr de ce terrible état de présence. Il avait vinyt-quatre ans et il élait aniouieux, 1res amoureux. L’ii jour, il obtint de sa belle un rendez-vous pour le lendemain a dix heures du matin. « Dix heures ! pensa-t-il quand il se trouva seul, et le ministère, et mon avenir, et l’état de présence ! Moi qui jusqu’à présent rr’ai j)as manqué de le signer une seule fois ! Que dirait mon Chef.’» Le pauvre diable rr"ulla pas à son rendez-vous ; mais quinze jours après, il aperçut l’objet de ses amours au bras d’un de ses camarades qui était malade régulièrement deux fois par semaine.

Il y a de ces nuances d’employés sur lesquelles il serait oiseux d’insrsler, et que le nom dont on les dcsigrre peint suflisamment. Tel est le llàneur, qui trouve le rr.oyeu de travailler une heure par jour ; lepioclreur, qui se fait scrui)ulede perdre une urinnte ; le malade iriragirraire, qui est menacé pendant trente ans d’une grave maladie dans l’allenle de laquelle il se repose, se fait saigner, preud médecine tous lesquinze joui-s ; le loustic, cliargéde la partie des calembours et des m>stilJcatious ; le Uuttcur, au(]uel ses camarades altacherri oïdiuairemerrt le grelot d espion , etc., etc. : mais le cumulard demande un coup de pinceau spécial et un cadre a part. La vie administrative commence géiréralemeut a dix heures du matin et tirnt à qiratre. iaritqu’uir emplo^éestgarçou, il passe’a doiiniroua ire rien faire les dix-huit heuiesde liberté que lui laisse l’état. Mais si cet einpiojé se marie et (]ue la misère arrive avec les enfants, il faut bien songer a tirer par ti de son leiirps. Alors commence pour lui la vie la plus laboiierise et la plus remplie qui se ptrisse irnagirrer’. Il est à peine six heures du inatrn, et le voilii déjà qiiiciq)iu des actes ou des matrices de rôles, ciiloiie des gravures, donne des leçorrs de danse uu de coriret à piston, ivdrge des articles pour les magasins prltoresiiues, I ar bouille des romans ou des résumes à ciiijuante Lancs le volume, suivarririirtclligeuce ou la vucalion qu’il tient de Dieu, De dix à (|iratre, il est à l’état. A six heures, son diircr lini, il va jouer de la contrebasse à <|uelque théâtre du boulevard, ou bien, si la nature ne l’a [)as fait ai liste, terrir les livres dir tailleur, du grainetier, de l’épicier ou de tout autre uégociairtde son ijnailicr-. Voilà son existence de tous les jours jusqu’à onze heures du soir, l’auvre uiarijr- du irraiiage ! quelle acliilé, ijrrel déioueiiunl ! Mo^enrraril cela, il est Mai , grâce à ce travail corislaril de di-scpl heures pai joiii. l’emplou’ einiinlai d [larvierrt