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J00 LA NOURRir.K SUK PLACE.

Quant à l’attacliemenl maternel (|iii aeconi|)agne et suit l’allailenieiit , à ce que prélendenl certains philanthropes , l’expérience démontre, hélas ! qu’il ne subsiste pas longtemps , et ne résiste jamais à l’absence. Sa durée , le plus souvent , égale la cause qui l’a fait naître, et quand la cause n’est plus, l’attachement s’évanouit. Cependant on compte quelques exceptions à cette fatale règle.

Lorsque la nourrice a quitté sa première place , la comparaison de ce qui est avec ce qui a élé lui fait vivement désirer de regagner le bien perdu ; parfois elle s’éverlue avec tant d’ardeur qu’elle parvient à trouver un second enfant à nourrir inunédialement après l’autre ; mais ce cas est i-are ; les familles prudentes ne veulent pas d’un lait déjà vieux. Le plus souvent elle retourne au pays natal , au sein de sa famille , près de son mari. Mais elle s’est déshabiluée du travail ; les souvenirs du luxe de l’hôtel parisien la poursuivent dans la ferme où l’aisance habile à peine. Alors elle persuade à son mari , bon gros laboureur, simple et naïf, que la paternité est une source inépuisable de richesses , el que chaque enfant que le ciel lui envoie est une renie annuelle dont il lui fait cadeau , sans qu’il y mette beaucoup du sien. La forlune viendra sans grande fatigue pour lui le jour où il aura doté le monde d’une demi-douzaine de chérubins.

Le fermier ne sait rien A opposer à d’aussi beaux raisonnemenis marqués au coin de la logique , et , Dieu aidant , il se trouve si bien convaincu que , neuf mois après son retour au village , la nourrice accouche d’un nouvel enfant , nu , pour nous servir de son langage, d’une nouvelle renie.

Alors elle retourne à Paris, el posluleune place, que sa forte et belle sanlé campagnarde ne tarde pas à lui faire obtenir. La fermière redevient nourrice : elle recommence encore la série de ses travaux, de ses bouderies, de ses promenades, de ses (li|4onialiques concussions ; pendant vingt nouveaux mois elle exploite une nouvelle maison, et, plus habile encore cette fois, elle fait rendre à l’enfanl toul ce qu’il est possible d’espérer, en pressurant les bons senlimenls qu’il inspire à sa mère. Elle économise et fait jiasser au pays de petites sommes successives qui , un jour agglomérées, acqiiilleroiil la valeur d’un pré ou d’un moulin ; elle accapare peu à peu un vasie Irousseau doni elle |iae chaque pièce avec un merci peu coûteux, el elle hàlil l’aisance de son avenir en détournant les miettes du présent. A trente ans elle clôl sa cai’rière. La nourrice a quatre ou cinq enfanis au moins, souvenl plus ; la ferme apparlienl à son mari ; (|uel(iues petits champs s’arrondisseni alentour : elle a payé le tout avec des gouttes de lail. L’allaitement, je dirais presque le nouniçni, n’étail mon respect imui- l’Académie, est aujourd’hui une profession périodique et lucrative , qui est en grand honneur au village ; elle fait parlie des industries en usage aux champs, et beaucoup de mères villageoises la font entrer jiour une grosse somme dans l’inventaire de la dol (pi’elles concèdent à leurs fdies en les mariant à quelque meunier. Amédée Achard