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LA NOURRICK SUR PLACK. 2 !) !)

sidiilioii morale n’esl pas sans souffrir quelques exceptions. La nouiriee, pendaiil son séjour à Paris, y deineure-l-eile eilueuse eoiiiineoii l’est au villaj ;e, A ce que disent les romances ?

Hâlons-nous de le dire : malgré certaines apparences éqnivo(|ues , la nourrice conserve presque toujours sa vertu aussi blanche que son tablier ; cependant, en noire qualité d’historien impartial et véridi(pie, nous devons ajouter que si cette vertu demeure intacte, elle le doit en grande partie au système de surveillance active que la maîtresse de la maison exerce envers la nourrice. La chair est faible el l’esprit est prompt, comme on sait , et il pourrait se faire i|ue si par hasard... Mais à quoi bon analyser l’intention en dehors du fait ?

De ses pérégrinations diurnes sous de frais ombrages, il résulte pour la nourrice un certain nombre de connaissances vêtues d’habits ou de redingotes, de fracs militaires surtout, dont (|ueli|ues-unes iennenl lui rendre visite jus((u’au logis. Il n’est pas rare même de les voir déjeuner, avec d’énormes tranches de gigot et de bonnes bouteilles de vin, aux frais de l’ofhce. Aux questions qu’on lui pourrait faire à ce sujet , la nourrice a toujours une réponse prête, réponse invariable, imprescriptible, cosnKqiolite , que chaque nourrice répèle avec aplomb à Paris comme ;i Brest ou à Marseille. Toutes ces connaissances sont dv^ ptijs ; au besoin même, elles sont des pa/j-cousins. On aurait vraiment mauvaise grâce à refuser quelques dtners au parents de celle qui nourrit le jeune héritier, car il n’est pas tout à fait impossible (pic la réponse soit vraie . par hasard.

La nourrice fait donc en liberté les honneuis de céans ; mais on a seulement grand soin de ne pas les lui laisser faire en tête-à-tête.

Cependant dix-huit ou vingt mois se sont écoulés ; une révolution va s’accomplir dans l’éducation niatéiielle de l’enfant ; une nourriture plus vigoureuse est offerte à son estomac. La nourrice comprend que son rég’ue louche au crépuscule ; au lait succède la panade. C’est alors que, pour prolonger autant que possible la douce existence qu’elle goùie au sein de l’abondance et du fur nienle , elle a recoiu’s aux ruses les plus adroites. Tout ce que son esprit excité par la crainle lui suggère pour reculer le terme fatal , elle l’emploie, lu quart (l’heure avant la présentation de la soupe abominable qui lui donne le cauchemar, la nourrice abreuve l’enfant de plus de lait qu’il n’en désire, et l’enfant, qui lètcrait olunticrs jus((u’au de f’iris illustribus, repousse avec horreur le mets qu’on lui présente, sans prendre garde aux cajoleries dont on l’entoure.

Ce manège dure un certain temps ; mais enfin l’heure critique a sonné. Malgré ses roueries , la nourrice ne peut éviter l’épreuve du sevrage , et son règne finit le jour où l’épreuve commence.

Elle se sépare enfin de son nourrisson avec des larmes el des gémissements. Madeleine repentante ne pleurait pas davantage ; mais ce n’est peut-être pas la tendresse seulement qui la rend si plaintive el si larmovanle, un autre sentiment se mêle à sa douleur : elle pleure ses revenus directs el ses ressources indirectes , sa molle oisiveté, et la chair succulente qu’elle a si longtemps savourée. Pans la bruyante expression de ses regrets , l’estomac a autant de part que le coeur.