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LA .NOL’RRICK SLR PLACE. 297

pai’olf : des ii’iionses aiiji’es-douct’s se croisenl sur ses lèvres, el les siii|i(diiifs de sa mauvaise humeur apparaissent surtout au retour de la piomenade. Eutiii, après de mitiulieuses iiivestii ;aliotis , la maîtresse parvient à dérouvrir que la dislaiice (pii sépare la rue du Moiil-Blanc des Tuileries est énorme pour une pauvre femme (|ui , i|iieli|U(’s mois auparavant , francliissait sans se plaindre trois ou quatre lieues en pleines lerres ; (pielques tours d’allées dans le jardin . entremêlés de stations prolongées sur les chaises, à l’ombre des marronniers, achèvent d’épuiser ses forces. Ses jambes fléchissent , et, dans ce labeur quotidien , elle sent que le dévouement seul peut encore la soutenir. L’insonmie vient pendant la nuit ; l’enfant crie et pleure ; au l’éveil la nourrice a les yeux battus : la mère s’épouvante. Faut-il s’étonner alors si le lendemain l’équipage de madame stationne à la grille des Tuileries, attendant qu’il plaise à la nourrice de reprendre le chemin de l’hôtel ? Mais l’orgueil est insatiable comme la paresse ; c’est peu de revenir, il faut encore aller en calèche découverte, au (rot de deux chevaux coquettement enharnacbés. Or, ce que nourrice veut, Dieu le veut, car avant tout les nourrices sont femmes, et bientôt elle parvient à ne plus fouler de ses pieds dédaigneux les pavés de la rue de la Paix.

Jus(|u’à ce jour, les articles du budget n’avaient pas été discutés ; cluuine mois la nourrice touchait son traitement, et en appliquait la totalité à satisfaire ses fantaisies sans contrôle. Mais une tnauvaise administration absorbe et gaspille bientôt un budget ordinaire ; il arrive sou enl (pie la nourrice cherche vainement un écu dans le désert de ses poches el de ses tiroirs : alors la nécessité lui révèle le mécanisme des chapitres additionnels, des ressources extraordinaires, des crédits supplémentaires , tous les arcanes du système financier à l’usage des gouvernements représentatifs. Elle se pose devant ses maîtres, femme et mari , comme un ministère devant les deux Chambres, en solliciteur. Le capital du traitement demeure iiitact, mais le traité est une lettre morte que l’esprit vivifie , et l’esprit, en pareille circonstance, c’est l’adresse à exploiter les sentiments maternels. A ce jeu-là. la noiurice est d’une habileté à en remontrer aux plus fins diplomates ; il n’est pas de ruses qu’elle neini)loie. pas de fils qu’elle ne fasse mouvoir, pas d’intrigues qu’elle n’ourdisse ! Elle est tour à tour el tout à la fois souple et roide, joyeuse et maussade, triste el gaie, rieuse et chagrine, naïve el madrée, impertinente et timide. Mais toujours et sans cesse elle fait jouer son nourrisson . comme le bélier qui brise les obstacles : |iour elle il est le nerf de la guerre invisible et infatigable qu’elle a déclarée A la bourse des père et mère. L’enfant est entre ses mains l’enclume el le marteau qui lui servent à battre monnaie.

Les contributions indirectes (|u’elle ne cesse d’obtenir , sans avoir l’air de les demander , arrivent sous toutes les formes : en offrandes métalliques au>; aniiiersaires et aux jours de fêles ; en cadeaux de toutes sortes à des époques indéterminées ; robes, foulards, bonnets, fichus, tabliers, toul est de bonne prise pour son insatiable vanité. A l’apparition de la première dent, il n’est pas rare de lui voir octroyer pai- la mère la chaîne el la croix d’or, objels d’inie longue et patiente convoitise.