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^9(j LA NOUKRICE SUR PLACE.

Le majordome est appelé sur riieiire, veitemeiit répiimaiulé e( sérieusement averti (|ue l’estomac d’une nourrice a des droits imprescriptibles auxquels il fait bon d’obéir.

A dater de ce jour, une liaine sourde et |irofonde surgit enlie elle et la geiU de l’office ; mais, orgueilleuse de sa position, et fière de son premier triomphe , elle se joue des efforts de la coalition qu’elle domine à l’antichambre comme au salon. Les femmes, comme les enfants, n’ont jamais conscience de leur force qu’après l’avoir essayée ; mais sitôt qu’elles la connaissent, elles en usent et en abusent sans pitié ni merci. Le premier essai tenté par la nourrice lui ayant révélé tonte l’étendue de sa puissance, elle se hâte de la mettre de nouveau à l’épreuve. Transplantée de la campagne , où du matin au soir elle vaquait à de pénibles Iravaux, dans une ville où les soins de l’allaitement vont devenir sa seule occupation , il était à craindre que la florissante santé de la nourrice , habituée à l’activité, à l’air, au soleil, ne s’altérât dans le repos, le silence et l’ombre d’un hôtel de la Chausséed’Antin. Le changement eût été trop rapide et trop complet. Afin de ménager à son sang et à ses humeurs une circulation toujours facile, et d’après les conseils du docteur, on attribue à la nourrice certains petits travaux d’intérieur qui ne demandent que du mouvement sans fatigue : l’arrangement et le nettoyage de sa chambre , les apprêts de son lit et du berceau en représentent presque la totalité. D’abord humble et résignée, elle remplit sa lâche avec une ponctualité mathématique et une ardeur sans pareille. Mais une si louable activité se dissipe bientôt au souffle des mauvaises passions. La nourrice, après sa victoire sur l’office, trouve qu’il est malséant à ses maîtres de la laisser se fatiguer à balayer, frotter et nettoyer ainsi que le peut faire une simple femme de chambre. D’aussi viles occupations sont désormais incompatibles avec son caractère. N’est-elle pas payée pour élie nourrice, et non pour être servante ?

Alors connnence une nouvelle lutte ijui se termine encore par le triomphe de la nourrice. Elle mui’mure tout bas, se plaint, gémit, accuse de sourdes douleurs vagues, qui toutes proviennent d’une grande lassitude : si la maîtresse feint de ne pas comprendre, les douleurs deviennent intolérables, l’appétit cesse, la fatigue succède à la lassitude, l’accablement à la fatigue. Le médecin consulté ne découvre aucune fièvre ; mais la mère , effrayée pour l’enfant, prescrit immédiatement le repos le plus absolu , et le reioiu- de la joieet de la santé coïncide avec la promulgation de l’ordonnance.

La nourrice a vaincu ; une servante subalterne est chargée d’office de l’administration de son apjiartement ; comme sa maîtresse, elle gouverne et gronde quand tout n’est pas en ordre une heure après son grand lever.

Cependant l’enfant a grandi. Il s’agite dans ses langes ainsi qu’une carpe sur l’herbe ; plus fort, il a besoin d’air et de mouvement ; ledocteur conseille la promenade, et la nourrice avec l’enfant, l’une portant l’autre, sont dirigés vers les Tuileries, cette patrie de l’enfance et delà vieillesse. C’est fort bien. Mais voilà qu’au bout d’un temps fort court , la face ai’iondie de la commère se rembrunit progressiement. De nouvelles manifestations agressives éclatent dans son geste et dans sa