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LA GRISETTE.


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e tous les produits parisiens, le produit le plus parisien sans contredit, c’est la grisette. Voyagez tant que vous voudrez dans les pays lointains, vous rencontrerez des arcs de triomphe, des jardins royaux, des musées, des cathédrales, des églises plus ou moins gothiques ; comme aussi, chemin faisant, partout on vous conduira votre humeur vagabonde, vous coudoierez des bourgeois et des altesses, des prélats et des capitaines, des manants et des grands seigneurs : mais nulle part, ni à Londres, ni à Saint-Pétersbourg, ni à Berlin, ni a Philadelphie, vous ne rencontrerez ce quelque chose si jeune, si gai, si frais, si fluet, si fin, si leste, si content de peu, qu’on appelle la grisette. Que dis-je, en Europe ? vous parcourriez toute la France que vous ne rencontreriez pas dans toute sa vérité, dans tout son abandon, dans toute son imprévoyance, dans tout son esprit sémillant et goguenard, la grisette de Paris.

Les savants (foin des savants !), qui expliquent toute chose, qui trouvent nécessairement une étymologie à toute chose, se sont donné bien de la peine pour imaginer l’étymologie de ce mot-là, la grisette. Ils nous ont dit, les insensés ! qu’ainsi se nommait une mince étoffe de bure à l’usage des filles du peuple, et ils en ont tiré cette conclusion : Dis-moi l’habit que tu portes, et je te dirai qui tu es ! comme si nos élégantes duchesses de la rue, nos comtesses qui vont à pied, nos fines marquises qui vivent du travail de leurs mains, toute cette galante et sceptique aristocratie de l’atelier et du magasin, étaient condamnées à porter à tout jamais une triste robe de laine ; comme si elles avaient renoncé, ces anachorètes blanches et roses, aux plus douces joies de la vie, au ruban de soie, à la broderie, aux souliers neufs, aux gants neufs, à toutes les ressources ingénieuses de cette coquetterie facile qui est à la por-