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28’( L’KLEVE DU CONSERVATOIRE.

lève à l’horizon. Quinze jours après, Corinne se promène au Bois en galant équipage avec son prolecteur, sa mère et l’amant de sa mère.

Mais toutes les élèves (le la classe de danse n’ont pas le même bonheur que Corinne. Beaucoup d’entre elles végètent assez longtemps dans le corps de ballet, et ne sont que des sylphides a la suite : cela vient ordinairement de ce que leur première inclination a été mal placée ; elles ont eu la faiblesse de se laisser séduire par un étudiant en droit qu’elles ont rencontré au Ranelagh, ou par un musicien allemand qui les menaçait de s’empoisonner avec de la potasse ! Pour relever ces anges déchus , il ne faui lien moins que la protection d’un journaliste influent ou d’un banquier cosmopolite. Une physionomie assez curieuse est celle du professeur de danse a l’Académie royale de musique. Quand un danseur , après trente ansde loyaux services , n’a plus la force de s’enlever et de piquer avec vigueur l’entrechat classique , quand il est fatigue , éreinlé , fourbu , on en fait un professeur : ce sont la ses invalides, il a des cartes de visite sur lesi|uelles on lit : Potydore Larchel , ex-premier sujet de l’ Académie royale de musique, professeur de danse à l’Académie rornle de musique. Polydore Larchet est un petit vieillard qui marche la tête haute, le jarret tendu et les bras arrondis. Il porte une perruque blonde , un habit bleu barbeau, un pantalon jaune collant et des escarpins en toute saison. C’est un partisan frénétique de la danse noble ; il ne fait qu’en soupirant des sacriOces aux méthodes nouvelles. Il rappelle sans cesse qu’il a eu l’honneur de danser "a Erfurth devant leurs majestés les empereurs Napoléon et Alexandre, et que les grandes dames du temps ne pouvaient se rassasier de le voir en fleuve Scamandrc. Il se découvre quand il prononce le nom de M. Vestris, et soutient que Louis XIV est le plus grand roi que nous ayons eu , parce qu’il était le plus beau danseur de son époque.

C’est au milieu de sa classe qu’il faut voir M. Polydore Larchet : il e>l beau de dignité concentrée, ne se fâchant jamais , ne se servant que d’expressions choisies. Il ne parle a aucune deses élèves , même a la plus jeune , qu’avec les formules les plus polies et les plus étudiées. — « Mademoiselle Julia , voulez-vous avoir la bonté de mettre les pieds en dehors. — Mademoiselle Amanda , voulez-vous être assez aimable pour lever davantage le bras gauche. » Polydore est le dernier représentant de la vieille galanterie française.

On ne veut plus de danseurs ; on les proscrit au nom du goût. Bientôt l’art chorégraphique ne sera plus cultivé quepar la plus belle moitié du genre humain. Le professeur de danse à l’Académie royale de musique est donc une ligure, qui dans peu de temps sera effacée de la collection des caricatures nationales. Il était, je crois, utile de l’esquisser dans notre recueil.

Maintenant si vous me demandez combien le Conservatoire produit , par année , de grands talents, je vous engagerai à parcourir les différents théâtres de la capitale. Rachcl, Duprez, Frédérick-Lemaître, ne sont pas élèves du Conservatoire. Je me contente de constater ce fait , sans vouloir entrer dans une discussion théorique qui pourrait vous endormir et vous laisser de moi un souvenir très-affligeant.

!•. COUAILBAC.