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L’ELEVE DU CONSERVATOIRE. 285

danseuses ou coryphées au grand Opéra ; les autres, grisetlcs des liauls magasios do modes cl des grands ateliers de couture ; les autres enfin mènent une exislence douce et oisive. Aucune de ces dames u"a de rentes sur l’état, et cependant elles dînent chez Véry , soupcnt au café Anglais, ne sortent qu’eu voilure, ont des toiletlcs éblouissantes , et sont entourées de toutes les jouissances du luxe. D’où viennent toutes ces fcmiues de loisir, ouplutùlres l’eniines aimables, comme elles s’appellent elles-mêmes ? La classe ouvrière de Paris en fournit queNiues-unes ; la plupart nous sont envoyées par les départements. Dès qu’à Strasbourg ou ’a Bayoune une lilie jeune et jolie a écouté avec trop de complaisance les doux propos d’un Lovelace de l’eiidioit ou de (]uelque bel oflicier de la garnison , dès qu’il lui devient malériellemcnt impossible de dissimuler sa faute aux yeux indiscrets de ses excellentes voisines, vite elle prend la diligence et vient se cacher dans Paris, ce grand désert si peuplé. L’a son éducalion se fait vile , et bientôt elle brille au milieu des lionnes de la lasliion ! — Mais l’enfant ?— Ah ! tant (jue ce fruit d’une première erreur est encore jeune et tendre , la mère le tient enfermé dans quelque pension du voisinage et va tous les mois pleurer en l’embrassant. Mais l’âge vient ; l’enfant grandit. Si c’est un garçon, il prend sa volée de bonne heure et sans demander la permission de pei’sonne : il devient sous-oflicier de lanciers, acteur de province, commis vovageur pour la partie des spiiitueux, ou premier dentiste de sa majesté l’cra- (lereui de toutes les Chines ’a l’usage des paysans de la Beauce et du Forez, et n’écritde temps en temps "a ?a res(]eclable mère que poiu’ lui rappeler l’exemple du Pélican et lui dcmandci’, au nom de la nature, quelques écus sonnant et ayant cours. La mère s’afflige peu de l’absence de ce mauvais sujet, et ne parle jamais de lui ’a ses amis des deux sexes. Mais si elle a une lille, oli ! sa conduite est bien difféienlc. Elle n’est point jalouse d’elle, comme certaines mères du monde bourgeois. Non elle a assez aimé , elle a été assez aimée , pour savoir au juste ce que vaut la passion , ce que valent les plaisirs, ce que valent les hommes, et pour n’avoir plus rien à craindre, ni "a envier de ce côté-la. Ce qu’elle rêve maintenant , c’est un brillant avenir ; ce qu’elle redoute, après sa vie de luxe et de jouissances , c’est la misère ; et la fortune qu’elle n’a pas su faire , elle veut que sa lille , sa chère Corinne , la fasse. Grâce à ses liaisons avec le corps diplomatiiiue , Corinne enlie dans la classe de danse de l’Académie royale de musique, où elle retrouve tontes les lilles des amies de sa mère , Néala de Saiut-Remy , Lisida de Barville , Antouia de Sainte-Amaranihe , Mai ia de Bligny , Eenella de Saint-Victor , etc. , etc. La elle apprend la cachucha et les choses du cœur. Sa mère suit ses progrès avec une admiration toujours croissante, elle vante partout le développement hàtif de ses formes, le perlé de ses pirouettes, la blancheur de son teint , la grâce de ses ronds de jambe , la délicatesse de ses traits et l’élévation de ses pointes. Pour obtenir des débuts pour elle, elle fait une cour assidue ’a toutes les puissances de l’Opéra, depuis le concierge jusqu’au maitre de ballets. Enlin le grand jour est arrivé ; Corinne, riche de ses quinze ans , doit danser un pas de trois dans un ouvrage en vogue. Toutes les fées du quartier Nolre-Dame-de-Loi ettc , tous les beaux du jockeys-club se donnent rendez-vous rue Lepelletier. La gentillesse et les jetés battus de Corinne ont un succès fou. La mode salue ce nouvel astre qui se