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jettent sur les campagnes un reflet de la civilisation parisienne. Ceux-là commencent alors à ouvrir le Voltaire ou le Rousseau qu’ils ont acheté, mais ils meurent à la page 17 de la notice. Toujours utiles à leur pays, ils ont fait réparer un abreuvoir, ils ont, en réduisant les appointements du curé, contenu les envahissements du clergé. Quelques-uns s’élèvent jusqu’à écrire leurs vues au Constitutionnel, dont ils attendent vainement la réponse ; d’autres provoquent des pétitions contre l’esclavage des nègres et contre la peine de mort.

Je ne fais qu’un reproche à l’épicier : il se trouve en trop grande quantité. Certes il en conviendra lui-même, il est commun. Quelques moralistes, qui l’ont observé sous la latitude de Paris, prétendent que les qualités qui le distinguent se tournent en vices dès qu’il devient propriétaire. Il contracte alors, dit-on, une légère teinte de férocité, cultive le commandement, l’assignation, la mise en demeure, et perd de son agrément. Je ne contredirai pas ces accusations, fondées, peut-être, sur le temps critique de l’épicier. Mais consultez les diverses espèces d’hommes, étudiez leurs bizarreries, et demandez-vous ce qu’il y a de complet dans cette vallée de misères. Soyons indulgents envers les épiciers ! D’ailleurs où en serions-nous s’ils étaient parfaits ? il faudrait les adorer, leur confier les rênes de l’État, au char duquel ils se sont courageusement attelés. De grâce, ricaneurs auxquels ce mémoire est adressé, laissez-les-y, ne tourmentez pas trop ces intéressants bipèdes : n’avez-vous pas assez du gouvernement, des livres nouveaux et des vaudevilles ?

De Balzac.