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2.-.4 LA FlLMMt ; SANS NOM.

glissantes de son escalier tortueux, ei qui lui rend sa recette en coups et en mauvais traitements. Outre cette tyrannie, Mariette en >ubira une bien plus cruelle encore , celle de la police. A chaque instant s’appesantira sur elle la volontt’ d’un despote. Ce despote s’appelle le règlement. Si elle dépasse d’une minute l’heure fixée, si elle s’arrête A parler un instant avec ses compagnes, si elle va trop vite, si elle marche trop Untement, le règlement, en habit bleu et en tricorne, la saisira brusf|uenient et l’enverra A Saint-Lazare. Combien de fois ja pauvre Mariette n’eut-elle pas A subir les cruelles atteintes du règlement pour toutes ces fautes que nous venons d’énumérer. On la faisait monter en oilure, on l’habillait de toile grise, et on la mettait à tisser des bretelles ou des chapeaux de paille. Courbée sur son travail , la malheureuse ne regrettait passa liberté, mais son amant. Son premier soin, quand en lui ouvrait les portes de la prison, était d’aller se remettre ;> sa disposition , et de recommencer ;1 son profit les phases de sa pitoyable existence.

Et quel autre refuge aurait-elle trouvé, l’infortunée ? Aujourd’hui il y a des gens qui soutiennent (|ue la loi doit être athée : comment s’étonner quelle abandonne ceux qu’elle a frappés Mariette dans la prison était entourée de soins pieux , d’exhortations religieuses. Une fois dehors, on la livrait à elle-même, seule, sans argent, sans ressources. Il y a des conversions qui exigent plus que des prières : celle de Mariette était de ce nombre. Elle entendait deux voix résonner dans son coeur, celle du prêtre et celle de la misère : l’une stérile, l’autre coupable ; elle obéissait à cette dernière, n’osant choisir le fatal juste milieu qui existe entre le crime et la faim, le suicide !

.utrefoisil n’en était pas ainsi : de nombreux refuges étaient ouverts au repentir. On appelait les pénitentes Filles du Bon Pasteur, ou Filles de Madeleine , pour désigner le pardon qui les attendait. Elles ne prononçaient que des voeux simples ; on lAehait même de les marier quand elles le (Uniraient. Lorsqu’arrivait le jour de.se donnera Dieu, on les revêtait de blanc, d’où on les nommait aussi Filles Blanches : on leur mettait une couronne sur la tête, et les lévites entonnaient le cantique ; Feni, sponsa Chrisli !

Hélas ! aujourd’hui la religion nap|)elle plus l’épouse du (Christ, et sa conversion est devenue une affaire de police.

Mais continuons la triste histoirede tous ces amours qui ])rennent naissance dans la nécessité de l’amour même. Vous croyez peut-être que l’inlimilé dans laquelle cette femme va vivre avec son amant, que la connaissance de ses défauts , la certitude de ses vices , vont la dégoûter de lui ; nullement. . travers toutes les humiliations, toutes les souffrances, toutes les ignominies, elle poursuivra la réalisation de sa chimère, l’amour ! Pour avoir (pu’Niu’un qui lui appartienne, elle qui ai)|)artient ft tout le inonde, Mariette fera tous les sacrifices , elle s’imposera toutes les privations , elle se jettera en pâture à tous les besoins de Crochard, afin de pouvoir un jour pour toute récompense aller s’ensevelir avec lui dans (|uelque recoin de théâtre du boulevard, ou bien sous l’allée de quelque guinguetledes Chanlp^-Elysées , seul endroit oii les voleurs

iillenl de lenips en temps faire un peu de poésie.