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252 LA FEMME SANS NOM.

leur appartient ; on les loge, on les nourrit , on les habille, mais voilà tout. Ce sont des esclaves dont la chariti^ n’a pu parvenir encore . ; briser les fers. C’est dans un de ces établissements que vivait Mariette ; le jour, elle lisait des romans, chantait des romances folles , ou se disputait avec ses compagnes ; le soir, elle était A la disposition de tous les désirs. Cette existence, si horrible en elle-même , avait encore cependant ses moments de plaisir. Parfois un jeune homme candide, poussé par de mauvais conseils ou de mauvais exemples à aller apprendre les secrets de l’amour sur l’oreiller du vice, se penchait vers elle en rougissant, et, ne sachant comment la nommer, l’appelait des plus doux noms qu’on prodigue ; une première amante ; d’autres fois encore, c’était un homme de lettres en train de ramasser des observations pour un prochain roman, qui l’interrogeait avec bonté, et lui parlait d’une vie meilleure ; souvent aussi arrivait un voyageur qui, n’ayant pas le temps de songer aux amours difficiles, faisait de Mariette sa compagne momentanée , et lui proposait de furtives parties de plaisir. Puis venait le jour de liberté que la spéculation accorde chaque semaine à ses pensionnaires. Ce jour-là on avait un beau chapeau comme autrefois, une robe fraîche, et un sourire endimanché ; on allait faire à la Chaumière une de ces passions qui durent une contredanse, puis on rentrai ! avec des souvenirs dans le cœur : pendant quelques heures, cette vie pouvait paraître supportable , elle se dorait encore des derniers reflets d’un passé plus agréable ; mais bientôt la réalité reprenait tout son empire : par des disputes plus longues, par des chants plus fous, par des excès plus funestes encore, il fallait essayer d’échapper au sentiment d’une position terrible. Voilà ce que faisait Mariette ; elle était forcée de se croire plus heureuse, parce qu’elle était plus bruyante. Cette agitation sédentaire apportait avec elle ses moments de sombre tristesse et de mélancolique ennui. Quelquefois ce vague chagrin de l’amour inassouvi, de la jeunesse mal employée, tourmentait la jeune fille : elle pensait à son village, à son enfant, à la tombe de sa mère, dont les dernières couronnes devaient s’être flétries depuis longtemps. Elle voulut fuir et retourner au pays ; mais une force nouvelle la retint clouée au pilori : cette force, c’était la maladie, plaie honteuse et éternelle qui signale le commencement de la vengeance divine.

Un matin Mariette se réveilla sur le lit d’un hôpital. Comme elle souffrit quand il lui fallut étaler ses plaies devant la foule des élèves et des médecins ! Ce moment de pudeur la rendit à elle-même : les soins des religieuses, la vue du crucifix placé au fond du dortoir, lui firent comprendre qu’elle accomplissait le premier degré de la pénitence qui lui était imposée. La solitude la fit redevenir fenniie : grâces à ce sentiment, elle découvrit sans en être atteinte tous ces honteux secrets que cache la couche du vice ; elle échappa à ces infâmes amours qui prennent nais.sance à l’ombre solitaire des lits de fer ; elle aurait pu sortir de l’hôpital pleine d’une pureté nouvelle, si la corruption ne l’avait pas attendue à la porte. Ces horribles industriels qui trafiquent des dépouilles de la mort, qui vendent les cheveux et les dents de ceux qu’ils ensevelissent, livrent aussi pour de l’argent le secret des convalescences brillantes. Cette même vieille qui avait tenté déjà Mariette l’attendait .sous un autre costume au seuil de lu Pitié ; la jeune fille voulait rester vertueuse, mais il fallait