Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/34

Cette page n’a pas encore été corrigée

G L’EPICIEIi.

ii’a-l-elle pas osé dire que la fidélité avait qm-hiue chose de fatal pour les épicières, peut-être a-t-elle craint d’affliger les épiciers en leur démontrant les inconvénients de la vertu. Quoi qu’il en soit, dans tes ménages que vous voyez mangeant et buvant enfermés sous la verrière de ce grand bocal, autrement nommé par eux arnèrc-boiitique, revivent et fleurissent les coutumes sacranienlales qui mettent l’hymen en honneur. Jamais un épicier, en quelque ipiarlier que vous en fassiez l’épreuve, ne dira ce mot leste : ma femme ; il dira : mon épouse. Ma femme emporte des idées saugrenues, étranges, subalternes, et change une divim^ créature en une chose. Les sauvages ont des fenunes : les êtres civilisés ont des épouses ; jeunes tilles venues entre onze heures et midi à la mairie, accompagnées d’une infinité de parents et de connaissances, parées d’une couronne de fleurs d’oranger toujours déposée sous la pendule, ensorte que le mameluk nepleiu-e pas exclusivement sur le cheval. Aussi, toujours fier de sa victoire, l’épicier conduisant sa femme par la ville, a-t-il je ne sais (pioi de fastueux qui le signale au caricaturiste. Il sent si bien le bonheur de (piitter sa boutique, son épouse fait si rarement des toilettes, ses robes sont si bouffantes, qu’un épicier (u-né de son épiuise tient plus de place sur la voie publicpie que tout autre couple. Débarrassé de sa casquette de loutre et de son gilet rond, il ressemblerait assez à tout autre citoyen, n’étaient ces mots, ma bonne amie, qu il emploie fréquemment en expliquant les changements de Paris à son épouse, ipii, confinée dans son coni|)toir, ignore les nouveautés. Si parfois, le dimanche, il se hasarde à faire une promenade champêtre, il s’assied à l’endroit le plus poudreux des bois de Romainville, de Vincennes ou d’Auteuil, et s’extasie sur la pureté de l’air. Là, comme partout, vous le reconnaiirez, sous tous ses déguisements, à sa phraséologie, à ses opinions. Vous allez par une voiture publique à Meaux, Meluu, Orléans, vous trouvez en face de vous un homme bien couvert qui jette sur vous un regard défiant : vous vous épuisez en conjectures sur ce particulier d’abord taciturne. Est-ce un avoué ? esl-ce un nouveau pair de France ? est-ce un bureaucrate ? Une femme souffrante dit qu’elle n’est pas encore remise du choléra. La conversation s’engage. L’inconiui prend la parole.

— Môsieii... Tout est dit, l’épicier se déclare. Un épicier ne prononce ni monsieur., ce qui est affecté, ni msieu, ce qui semble infiniment méprisant ; il a trouvé son trionq)hant môsieu, qui est entre le respect et la protection, exprime sa considération, et donne à sa personne une saveur merveilleuse. — Môsieu, vous dira-t-il, pendant le choléra, les trois plus grands médecins, Dupuytren, Broussais et môsieu Magendie, ont traité leurs malades par des remèdes différents ; tous sont morts, ou à peu près. Il n’ont pas su ce qu’est le choléra ; mais le choléra, c’est une inaladie dont on meurt. Ceux (pie j’ai vus se portaient déjà mal. Ce moment-là, môsieu, a fait bien du mal au conuiKMce.

Vous le sondez alors sur la politique. Sa politique se réduite ceci : « Môsieu, il paraît que les ministres ne savent ce qu’ils font ! On a beau les changer, c’est toujours la même chose. Il n’y avait que sous l’euqjcreur où ils allaient bien. Mais aussi, quel honmie ! En le perdant, la France a bien perdu. El dire qu’on ne l’a pas soutenu ! «  Vous découvrez alors chez l’épicier des opinions rcligieusescxtréuiemenf répn’hen-