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LA FEMME SANS NOM. 2-19

Cependant la femme galante est belle, elle séduit à la fois l’amour-propre et les sens ; souvent elle est aimée avec ardeur, avec passion, souvent elle empoisonne l’existence d’un homme de cd’ur dont la vigilance s’est endormie et dont l’Ane s’est laissé surprendre. Malheur A celui qu’un pareil sentiment consume ! Avenir, fortune, honneur même, il sacrifiera tout pour une créature qui ne lui donnera en échange (pi’oubli et abandon, non point par cruauté, non point par méchanceté véritable, mais par ignorance , parce qu’elle aura trouvé tout naturel que son amant se ruinAt pour elle , parce qu’enfin , pour comprendre qu’un homme vous a donné son honneur et son avenir, il finit connaître soi-même l’honneur et savoir ce que c’est (pu- l’avenir. On cite quelques femmes galanles qui ont partagé leur richesse avec un anianl d<’venu pauvre : ces exemples ne sauraient rien prouver contre l’égoïsme de la masse. Un sacrifice suppose l’amour, et la femme qui parvient ; aimer cesse aussitôt d’être femme galante.

L’industrie qui s’exerce dans la rue en plein jour ou à l’éclat des réverbères nous a semblé toujours moins dangereuse pour la société et moins immorale peut-être que celle qui s’étale fièrement au milieu des promenades publiques , dans les théâtres , dans les concerts , comme si le luxe pouvait sauver de l’ignominie. Dans le premier cas , si les femmes ne craignent pas de se mettre au-dessus de la pudeur, il y a dans les conditions au moyen desquelles elles • achètent la tolérance qu’on leur accorde une sorte de honte officielle qu’on peut considérer comme un châtiment et comme une précaution sociale ; dans le second cas , au contraire , les inconvénients que l’on cherche à prévenir existent sans aucune espèce de garantie pour l’ordre moral. Ceci , dirat-on, est bien plutôt la faute des mœurs que celle du législateur : on s’est habitué à séparer le vice en deux classes ; on a pitié de la première, et l’on méprise la seconde. Mais, alors, pourquoi les hommes ne manifestent-ils pas plus souvent, et d’une façon plus énergique, celte pitié et ce mépris, sentiments puissants qui pourraient éviter bien des malheurs, et faire naitre bien des conversions.

.•Vrrivé à ce degré de l’échelle des vices que nous nous sommes imposé le devoir de parcourir, nous ne pouvons nous empêcher d’insister sur le caractère fatal et incompréhensible de ce qu’on appelle une femme galante de nos jours. Autrefois , une courtisane, c’étaient Marion Delorme et Ninon de l’Enclos, c’est-à-dire des femmes sages par raison, libertines par tempérament ou par faiblesse, se désolant le lendemain de la sottise de la veille, passant toute leur vie à aller du plaisir au remords, du remords au plaisir, sans que l’un parvînt :1 détruire l’autre, cl n’échappant qu’à leurs derniers instants à ces deux grands ennemis, .aujourd’hui la galanterie n’est pas même une spéculation, c’est presque une manière de tuer le temps, une façon démener la vie d’artiste. Beaucoup, parmi celles dont nous parlons, si elles pouvaient changer de sexe, deviendraient des rapins chevelus, des jeunes-premiers de la banlieue, ou des poètes incompris ; d’autres, et c’est le plus grand nombre, jetées dans cet état par hasard, le continuent toute leur vie sans le comprendre. Si la destinée l’eût voulu, elles auraient pu faire des épouses irréprochables. Chez ces organisations, loul dépend de la première impression : le vice ou la vertu ne sont pour elles (|u’une habitude. Ce sont des automates en chair.