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■2’.2 L’AMI Ui :S AUTISTES.

la tombe, «juant aux pieds, et de qui la tête s’incline sous le bocal académique. Donc, au sortir du café , notre homme se rend au foyer de la Comédie-Française, ou chez quelque acteur retiré de la sccue , ou chez quelque ex-nntaliililé hexnniétrique ; et la, retrouvant quelques tronçons de colonnes grecques ou romaines, quelques ombres d’Achille ou d’Agaraemnon , évoquées par le Tirésias du logis, il se livre à la poésie des souvenirs, a des expansions d’amitié dignes et contemporaines de Pyladectd’Orcste. On se rappelle de grandssucccs oublies, des araoursdéplumés depuis longtemps, et l’on parle do pièces, de rôles, de gens illuslres que personne n’a jamais ouï nommer, et l’on paraphrase sur des tons lamentables le tri mélancolique du poète, prccleriios ! . . .

Au milieu de ce cercle, il est une créature li qui l’ami en question est spécialement fâcheux. C’est une jeune-première non moins éternelle que le printemps de l’anliquo Idalie. Notre homme nourrit pour elle une passion platonique et malheureuse. Il a vieilli dans cet amour routinier, la flèche de Cupidon s’est rouillée dans sa poitrine , et la plaie s’est refermée. Cet amant caduque ne trouve plus de mois pour la louer ; il sait par cœur tous ses rôles , chaque succès de l’objet aimé est gravé, avec la date fatale, eu traits de feu dans sa mémoire, et dès quesuivient un nouveau triomphe, le tendre historiographe enchanté amène à celte fêle loules les ovations du temjis jadis. Alors il est question A’OEdipc, de ta Vestale, du Phil’mthe, du TpetH Clmpcron-Roiige, des V’mtandïnes ; hélas ! ... de Rose et Colas, et. . . du Marmcje du Fujaro .’. . . Quel supplice pour cette ingénue qui vient tout à l’heure d’être embrassée sur le Iront par une mère dont elle serait l’aieule ! Le rougelui en déteint sur les pommelles, et ses faux cheveux se dressent d’horreur au milieu des roses qui y sont mêlées ! Comme elle n’a pas vieilli, cette déesse, comme elle persiste dans l’ingénuité la plus primitive, commeellcpersévèredans le trille cl la roulade, /’«mi f/cs artistes accroche ses vieux ressouvenirs à ce buisson d’immortelles, et il prend le crépuscule du soir pour l’aurore aux doigts de rose. Quant à sa vie , "a lui , il la dira sans peine. Cet homme n’a jamais rien fait, rien. OfOcier en 82, au régiment de la reine, il se lia , au voyage de Cherbourg, avec l’intendant des menus, lequel, au retour, lui donna a souper chez des filles d’opéra. Il a connu Mole, mademoiselle Clairon, et encouragé lesdébuts de la petite D***... ici présente et toujours adorable (la petite D"** fait une grimace diabolique). Depuis lors, il n’a pas quitté les coulisses ; il sait tout le vieux répertoire, c’est lui qui a enseigné h Talma son « Qu’en dis-tu’ ? » Il croit entendre encore Le Kain s’écriant :

Et sa tète â la main demande son salaire.

Bien qu’il fût jeune alors, le geste du tragédien qui semblait se décapiter et manier la tète entre ses doigts, le sou de cette voix vibrante, le saisissent encore d’une poétique horreur.

Puis il se tourne vers la jeune-première qu’il idolâtre a perpétuité ; il lui reproche tendrement les soupirs qu’elle lui a dérobés, cette enfant toujours belle, divine, surnaturelle, mais inhumaine. Rt l’on sourit à celte constante affection. Pauvre ami !