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L’AMI DES ARTISTES. 237

riches à milliards, priiici’s, ministres, ce sont des jugeurs, des protecteurs, des Colbcrls au petit pied, des .Mécènes en miniature, des Léons X deelievalel. 8i , connue votre ami, ils ont en partage une honntHc aisance, ils accouplent leur génie nniei au talent d’un praticien qu’ils ne quitlenl plus ; l’art est leur seul occupation , le monde <’ntier n’est pour eux i)eu|)lc ipie de grands hommes, et grands lioninies eux-mêmes, par frottement, par incidiation, ces fétiches manient la question d’art

■ ! merveille, talent où excellent d’ordinaire ceux qui jamais n’ont rien fait et qui ne

feront jamais rien. .Vu demeurant, que sont-ils :’... ,/hiù des arlisles . courtiers marrons du talent ; ils n’ont pas d’autre position sociale.

(I yuand l’ami des artistes a senti le poids des ans, quand, à force de répéter la même chose , il est demeuré eu arrière du mouvement général , sa verve diminue, la rigueur de ses principes devient lempi’rce . sini audace s’intimide, ses ailes se déplument , ses .serres perdent leurs ongles . il tombe en fusion et passe à une tendresse universelle. Au seul mot d’art , au seul nom d’artiste, il vous embrasse, et il pleure à l’aspect du premier HCC de son petit-neveu. En un mot , une fois usé, et dès qu’il ne vaut |)lus rien , l’ami des artistes, devenu excellent homme , tourne au sigisbé des artistes quinquagénaires et au brocanteur de tableaux. S’il lui reste des rentes , il tire des amis de sa cave et de sa cuisine. Voil ;^, monsieur, l’avenir de votre camarade, enluminé le mieux possible. u revoir, et bonne nuit. »

Depuis ce jour, j’ai souvent rencontré mon ami lîadoulot, et j’ai suivi avec attenliim ses transformations, admirant ses nombreuses spécialités. 11 est triste de penser tpie ce travers , produit par une série d’avortements, se multiplie d’une effrayante manière depuis que l’aristocratie de la pensée a délrèné les autres. Mon ami Badoulot est en effet devenu un être multiple : tantôt il tourne au critique et rampe sous le fût des journaux , tout infecté de peintres échoués ou de musiciens inpaiiibiis. Ces lettrés d’une espèce nouvelle se sont fait un déplorable argot ; ils se sont créé un vocabulaire spécial dont l’horrible mot aitistùjue vil la base. L’ami des artistes est tranchant, loquace. Loin d’être le satellite des gens célèbres, il se fait planète à leurs côtés ; il professe des doctrines dont les célébrités ne sont que rcxem|)le pratique, et c’est lui-même qu’il admire en elles. En ces temps de spéculation générale il est peu désintéressé ; il sait accaparer à petit bruit une collection de dessins , d’aqua-’ relies , de croquis , d’autographes.

Il n’est pas de peintre qui n’ait eu ; subir les impertinences obséquieuses de mon ami Badoulot ou des artistes marrons ses semblables. La quantité de ces mouches bovines devient effrayante. Combien de gens se font honneur par le monde, au sortir de leur étude d’avoué ou de leur bureau de ministère, d’appeler les grands hommes par leur nom de baptême tout court , de leur crier de loin : «Comment te portes-/«.^ » et de raconter les menus détails de leur vie, afin de paraître leurs familiers ! Et puis , ce sont des questions ridicules , des requêtes indiscrètes , des observations stupides , et surtout des éloges à contre-sens, plus irritants que la critique même ; des querelles A l’endroit de vos intimes convictions , et tout cela pour faire parade de leur , iigement prodigieux , de leur étrange aptitude, et d’une vocation incroyable. Laissezles dire, ils vous offriront des conseils. Je sais à ce propos un sculpteur qui. durant